À qui profite le crime ?

On critique, à raison, l’emballement des médias lors de certaines affaires. Mais si les nouveaux moyens de communication et les réseaux sociaux sont devenus, parfois, de véritables tribunaux médiatiques, cet engouement pour les histoires criminelles ne date pas d’hier. Tour d’horizon d’une presse pas toujours exempte de tout reproche.

En septembre 1869, Napoléon III vit ses derniers mois en tant qu’empereur et le pays gronde d’une colère sociale. Dans le Tarn, en Aveyron, à Lyon, les ouvriers se mettent en grève et sont réprimés dans le sang.
À cette époque, Pantin est loin de Paris. Si la ville commence à s’industrialiser, elle reste largement agricole. Les rues d’aujourd’hui sont les champs d’hier et c’est dans l’un de ceux-ci que l’histoire de la presse bascule. À la lisière d’une plantation de luzerne, un paysan du cru, alerté par des flaques de sang, découvre le corps d’une femme. Il alerte la gendarmerie et dans l’après-midi, quatre autres cadavres sont découverts.

Débute alors un immense emballement médiatique. Le lendemain, 22 septembre, Le Petit Journal – quotidien populaire créé à peine six ans plus tôt – titre : « Le crime de Pantin ». Dans les pages intérieures, on y apprend l’identité des victimes, toutes de la même famille et massacrées à coups de couteau, de pelle, de pioche. Chaque jour, pendant des mois, Le Petit Journal chroniquera ce fait divers et se gargarisera des soubresauts de l’affaire : l’arrestation d’un suspect, la folie du public qui vient voir le champ où la famille a été assassinée, les fausses pistes, le procès et ce, jusqu’à l’exécution
du coupable en janvier 1870, un certain Jean-Baptiste Troppmann, qui donnera son nom à l’affaire. Le choix éditorial du Petit Journal s’avère payant et lui permet de devenir le quotidien le plus lu de l’Hexagone, atteignant certains jours les cinq cent mille exemplaires vendus.

Une histoire qui résonne encore aujourd’hui. À chaque affaire médiatisée revient cette rengaine : les médias traitent-ils trop les faits divers ? Pourtant, dès sa naissance et plus encore depuis qu’elle est devenue populaire et s’adresse à un large lectorat, la presse française a intimement lié son histoire à celle du crime. Au commencement étaient les « canards ». Ces feuilles volantes, qui ont contribué au surnom des journaux d’aujourd’hui, peuvent être considérées comme les ancêtres des journaux à sensation. Apparus aux balbutiements de l’imprimerie, à la fin du XVe siècle, les canards relataient des histoires hors du commun et des crimes sanglants selon une recette qui ne variait jamais : un texte court, une exposition des faits souvent approximative, une parole de repentance attribuée au coupable et une conclusion en forme de morale.

Évidemment, les canards s’arrangeaient souvent avec la réalité et, lus en public à une époque où ceux qui savent lire sont très peu nombreux, ils avaient surtout vocation à choquer. Au xixe siècle, la presse populaire s’inscrit dans cet héritage et utilise les faits divers comme produit d’appel, dans une société où le taux d’alphabétisation passe du simple au double pour atteindre les 20 %. « Dès 1830, il y a une plus large diffusion de la presse et par là même, un plus grand marché. Autour des années 1860, la presse devient vraiment populaire et c’est à cette période que le fait divers devient un pilier des journaux. Leurs histoires deviennent communes à ce moment-là », explique Patrick Eveno, professeur émérite à l’université Paris I et historien des médias.

Alibi N°8 Médias et faits divers
Ce n’est pas parce qu’on aime le noir et les histoires criminelles qu’on doit faillir à la tradition. Tout le gang de votre revue vous souhaite donc une bonne année, qu’elle espère remplie de nombreuses lectures. Nous vous laissons déguster ce premier numéro de 2022 et vous plonger dans son dossier consacré aux relations troubles entre les médias et les faits divers. Après Pierre Lemaitre, c’est un autre prix Goncourt qui nous a ouvert les portes de chez lui, Nicolas Mathieu, tandis que l’éditrice Anne-Marie Métailié nous révèle les secrets de sa longévité. Un flic et un ancien voyou (Christophe Molmy et Lucien Adami) complètent nos rencontres de ce trimestre. Deux auteurs que nous apprécions, Dominique Sylvain et Pierre Pouchairet, nous ont fait la joie de nous prêter leurs plumes pour deux textes inédits. Vous découvrirez l’histoire des souris vertes, partirez en voyage dans les entrailles de Las Vegas et dans les rues de Paris et frissonnerez à la lecture de notre enquête sur les tueurs à gages qui sévissent… en France et de notre BD au Mexique, lors d’un festival très particulier.

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