Il n’y a pas que les « polardeux » qui s’inspirent du réel. Certains écrivains de fictions dites « blanches » le font aussi avec talent. C’est le cas d’Adeline Fleury. Elle a mis son activité de journaliste entre parenthèses pour écrire des essais et des romans. Témoignage d’une auteure qui s’est mise dans la tête d’une meurtrière.
© Le Parisien
Choisir un sujet, réfléchir à un angle, ne pas trahir la réalité, s’inscrire dans une rigueur journalistique. Se confronter à la complexité du monde, sa rudesse, son âpreté, autant que sa beauté. Ecouter, observer, être témoin. Rentrer de reportage avec plein d’histoires dans sa besace, de paroles qui touchent, interpellent, bouleversent, hantent parfois pendant des semaines. Puis raconter, à chaud souvent, sans prendre le temps d’ingérer la matière, de la digérer avant de passer à la phase de l’écriture. Pendant près de quinze ans, j’ai essayé de m’y tenir. J’étais reporter au Journal du dimanche, j’ai adoré cela. Ce fut mon école de la vie, ma formation à la dure sur le terrain, et sans le savoir mon école d’écriture. Je me racontais des histoires, à partir d’histoires, j’allais au-delà de ce que je voyais, de ce que j’entendais. Je me racontais des histoires à partir du réel, mais ma déontologie m’interdisait de le trahir. J’ai fait une pause dans le journalisme, un pari risqué, pour m’affranchir, libérer mon écriture, affirmer mon «Je», mes convictions, débrider mon imaginaire. Alors seulement j’ai pu écrire. Vraiment. D’abord des textes qui flirtaient avec l’autofiction. Des textes sur le désir féminin, l’articulation entre la féminité et le féminisme. Le corps était mon sujet, un formidable terrain d’exploration littéraire.
Une histoire de corps me taraudait depuis plusieurs années. Celle d’un infanticide qui me confrontait au pire. Tout était vrai pourtant. Celle de Fabienne Kabou, cette femme qui avait abandonné son bébé sur la plage de Berck-sur-Mer en novembre 2013. Je n’avais pas couvert ce fait divers, mais il m’obsédait. Je suis allée un jour de février sur les lieux du crime. J’ai dormi dans l’hôtel où cette femme a passé sa dernière nuit avec sa petite fille. Je suis allée me recueillir devant les doudous, les peluches, les bouquets de fleurs séchées déposés sur la digue en mémoire de la petite Adélaïde, non loin de la grève où son cadavre a été retrouvé par un pêcheur de crevettes un matin de novembre.
J’ai voulu m’y confronter, en faire un livre journalistique, j’avais les procès-verbaux de la police, toutes les coupures de presse. J’ai tout lu, tout écouté, le procès, les diverses versions de la mère infanticide qui s’entrechoquaient. Un temps, j’ai mis ce projet de côté. Je me perdais dans la masse du réel. Puis un soir, la forme romanesque s’est imposée à moi.
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