Cette histoire se passe à la grande époque, au temps des révolutionnaires et de la Première république, dans la nuit du 8 au 9 Floréal de l’an IV – soit entre le 27 et 28 avril 1796 – alors que le courrier se déplaçait encore en calèche. Voici l’histoire d’une très vieille erreur judiciaire.
© DR. Gravure populaire de l’épisode de la forêt de Senart (attaque du courrier de Lyon en 1796).
On ne sait pas vraiment ce qu’il s’est passé ce soir là, mais le 28 au matin, la diligence tirée par trois cheveux devant aller de Paris à Lyon est retrouvée abandonnée sur le bord de la route, pillée, près de Vert-Saint-Denis en Seine et Marne. Les deux postillons sont retrouvés assassinés. M. Audebert, le postillon, a le crâne défoncé à coup de sabre et M. Excoffon, le convoyeur chargé de la sécurité du transport, a lui écopé de trois coups de poignards. Quant aux 80 000 livres en monnaie et 7 millions de livres sous forme d’assignats destinés à la solde des armées d’Italie qui se trouvaient dans la voiture, impossible de les retrouver car le tout fut volé. Un troisième passager, dont on ignore l’identité, a disparu.
La police bloque ainsi tout le secteur et « gèle » les lieux. La zone est ratissée, le moindre recoin est passé au peigne fin. Grasse à cette entreprise, elle retrouve six caisses de bois blanc vidées de leurs assignats, un éperon argenté raccommodé avec une ficelle et une partie du sabre ensanglanté et brisé par la violence du coup porté au convoyeur. Les gendarmes retrouvent également, un peu plus tard, deux des trois chevaux attachés à un arbre et le fourreau du sabre. Ils retrouvent le dernier cheval, errant dans Paris et en déduisent ainsi qu’il a été utile au troisième mystérieux passager, probablement complice de l’attaque. Des témoins confirment avoir vu passer plusieurs cavaliers sur la route de la diligence. Certains affirment avoir vu un cavalier avec un éperon réparé à la ficelle. Un loueur de chevaux donne un nom : Couriol. Rapidement, six suspects sont appréhendés : Couriol – un représentant de commerce et dont on découvre un cinquième du butin dans ses bagages-, Richard – un apprenti bijoutier et receleur bien connu de la police, chez qui Couriol se réfugie d’abord et qui connait Guénot. Il est le premier des six à être arrêté -, Guénot, Bruer, Bernard et Lesurques.
© Lesurques découvrant le verdict. Gravure extraite de L’Assassinat du courrier de Lyon, par Arthur Bernède (1931)
Guénot est appréhendé avec son camarade Lesurques. Des témoins assurent les avoir vu ensemble le soir du braquage, ils ne peuvent nier se connaitre. Pourtant, Lesurques a des témoins qui peuvent prouver où Guénot et lui se trouvaient ce soir là, mais ils ne sont pas crus car on retrouve dans sa poche des documents destinés à ses amis pour que ceux-ci lui procurent un alibi. Un de ses ami bijoutier va même jusqu’à montrer son registre de transaction au juge pour prouver que Lesurques était là, mais le même juge remarque que la date est faussée.
Pourtant, chose étrange et perturbante, Couriol, après le verdict, avoue que Lesurques n’a rien à voir avec l’affaire et que, par une malchance improbable, Lesurques ressemble très fortement à l’un des complices. Il continuera de l’affirmer jusqu’à sa mise à mort, en vain. Lesurques est tout de même décapité le 3 octobre 1796. On a d’ailleurs retrouvé la lettre qu’il avait écrite à son épouse pour lui faire ses adieux :
« Ma bonne amie, quand tu liras cette lettre, je n’existerai plus ; un fer cruel aura tranché le fil de mes jours qui devraient être tous à toi et que je t’avais consacrés avec tant de plaisir, mais telle est la destinée qu’on ne peut fuir en aucun cas : je devais être assassiné juridiquement. »
© Bibliothèque Nationale de France. Adieux de Lesurques à sa famille.
Couriol, Richard et Bernard sont aussi jugés coupable et sont condamnés à la peine de mort, sauf Richard qui est condamné au bagne. Guénot est quant à lui innocenté grâce au témoignage d’un policier. L’affaire aurait donc dû s’arrêter là. Mais, cinq ans plus tard, le juge Daubanton, responsable de la première instruction, réouvre l’enquête et on arrête en 1800 un certain Dubosq, bijoutier de son état, désigné comme complice par Couriol alors qu’il était toujours en prison. Selon les témoins de l’époque, il est possible de le confondre avec Lesurques car une certaine ressemblance existe. Pourtant, un seul des témoins revient sur ses dires et désigne Dubosq comme coupable, à la place de Lesurques. Dubosq est jugé coupable et condamné à l’échafaud. Il niera toute participation jusqu’au bout mais affirmera en dernières paroles que Lesurques était bel et bien innocent.
© Bibliothèque Nationale de France
Nombreuses sont les théories qui cherchent à trouver la véritable histoire, le fin mot de l’affaire. Selon le commandant de gendarmerie Éric Dagnicourt, qui a écrit un livre à ce sujet. Il pense que l’attaque a été programmée par Lesurques et Bernard, qu’ils ont commandité Richard pour qu’il trouve une équipe de cinq malfaiteurs qui se chargeront de l’attaque en elle-même. Un des hommes monte dans la diligence et les quatre autres se postent sur la route en direction de Lyon. Trois des quatre attaquent la voiture alors Bernard et Lesurques regardent de loin le déroulé de l’affaire. Les malfaiteurs tuent les postillons, de manière préméditée ou peut-être dans la panique, difficile de le savoir, s’empare du butin et s’en vont. Cette théorie n’est pas certaine, c’est là le propre de la théorie.
Toujours est-il que Lesurques est considéré pendant de nombreuses années comme étant innocent et une erreur judiciaire, il a même donné son nom à une loi permettant de réhabiliter des condamnés reconnus innocents a postériori, bien qu’il n’en bénéficia pas. Sa fille a pourtant tenté de le faire innocenter mais ce fut rejeté au motif que Dubosq avait été condamné comme complice et non comme auteur principal. C’est l’élément déclencheur qui fait pencher l’opinion publique en sa faveur et en fait le symbole de l’erreur judiciaire.
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