Asa Larsson : l’auteure boréale

Asa Larsson est une véritable star en Suède avec ses thrillers mêlant suspense psychologique et enquête policière. Trois romans de sa série Rebecka Martinsson (qui en comporte six) ont reçu le prestigieux Prix du meilleur polar national. Portrait d’une écrivaine tout en délicatesse.

© Paolo Bevilacqua

Tout a commencé par une invitation : « Vous êtes conviée à un déjeuner en présence de Asa Larsson au Cercle suédois, 242, rue de Rivoli. » Au Cercle suédois ? Pourquoi pas, après tout? C’est toujours un honneur de rencontrer une auteure de renom. Et puis, l’adresse est prometteuse. Nous voilà donc devant la porte du « Svenska Klubben i Paris », au deuxième étage d’un immeuble cossu de cette fameuse artère parisienne qui arrive jusqu’à la place de la Concorde. Sonnerie en laiton, bip pour entrer dans ce qui ressemble à un appartement de la famille royale de Suède, mais avec vue imprenable sur le jardin des Tuileries. Cet endroit incroyable et pré­servé a été fondé en 1891, c’est le plus vieux club sué­dois dans le monde. Alfred Nobel himself y a rédigé son testament en 1895. Vous pouvez d’ailleurs y visiter son bureau et voir le précieux document. « Asa, enchantée. Ça se prononce Ossa. » Grand sourire, voix chaleureuse, cette écrivaine, véritable star en son pays, une vraie reine dont trois romans sur six d’une même série sont lauréats du prestigieux Prix du meilleur polar en Suède, est d’une simplicité et d’une ouverture rafraîchissantes.

Asa Larsson est née à Uppsala en 1966 tandis que ses parents étaient encore étudiants à l’université. La famille s’est alors installée à Kiruna, à 145 kilomètres au nord du cercle polaire. Cette municipalité de 23 000 habitants, au cœur de la Laponie suédoise, le pays des éle­veurs de rennes, les Samis, est entrée dans l’Histoire. Car elle est juchée sur la plus grande mine souterraine de fer au monde. Son exploitation depuis plus de 120 ans met en péril des quar­tiers entiers du centre-ville. Celui-ci va donc être déplacé 3 kilomètres plus loin avec ses 6 000 personnes à reloger, et même la grande église qui date de 1912. La société qui exploite la mine a donc acheté de nombreux terrains et propose aux anciens pro­priétaires de nouvelles parcelles. On peut imaginer que cette frénésie de construction n’a pas que des consé­quences positives. Dans le roman En sacrifice à Moloch, Asa Larsson faisait déjà référence à l’exploitation minière. Dans son dernier opus, Les Crimes de nos pères, elle décrit le monde des ouvriers venus d’ailleurs, ces « fly-in/fly out », qui travaillent comme des forcenés en semaine et repartent dans leur famille le week­end ou de temps en temps. Dans cette communauté de travaux publics, il y a beaucoup de sous-traitants et d’ouvriers venus de Russie, « on remarque moins d’entraide entre les hommes de peine, souvent logés dans des mobil-homes vétustes, plus de drogue, plus de criminalité. C’est une réalité. À partir du moment où il y a de l’argent, il y a de la criminalité organisée. » Loin de l’image d’Épinal du nord du cercle polaire, Kiruna est bien un lieu qui se prête à une série policière. Asa Larsson a grandi là. Son grand-père, d’origine Sami, a été champion olympique de ski en 1936 et sa famille est issue de la minorité suédoise dont la langue maternelle est le finnois, qui souffre du racisme séculaire de certains Suédois. Comme elle l’explique, « à la fin du XIXe siècle, les dirigeant suédois sont allés dans le nord du pays pour tuer les Samis, ils pensaient qu’ils repré­sentaient la plus grande menace pour la pureté suédoise. »

© Paolo Bevilacqua

Les livres ont toujours fait partie de son univers : « Mes parents ont eux aussi fait des études. Ils étaient les premiers dans leur famille à accé­der à l’université. Mais leur langue maternelle était le finnois, Ils étaient de très bons étudiants : mon père était bibliothécaire et ma mère institutrice. Ils avaient vraiment très peu confiance en eux­mêmes car ils venaient d’un milieu très simple. Pour eux, il était inimaginable de devenir médecin ou avocat, c’était tellement loin de leur imagination. » Après le lycée, Asa a d’abord travaillé comme femme de ménage, puis comme serveuse, avant de prendre conscience qu’elle attendait autre chose de sa vie. Elle s’est alors inscrite à l’univer­sité pour faire des études de droit, avant de se spécialiser en droit fiscal : « c’est à priori la matière la plus aride qui soit, tous les étudiants la détestent, mais pour moi, c’est un système logique, avec ses règles et ses contraintes, un univers que je pouvais maîtriser, » Alors, elle a enfilé un tailleur strict, acheté un attaché-case et travaillé comme une acharnée dans un cabinet fiscaliste de Stockholm. Elle a même arrêté de lire. L’écriture paraissait bien loin
de cette vie-là. « Quand j’ai eu mon premier enfant, nous confie-t-elle, j’ai traversé une période compliquée; j’étais censée être comblée et heureuse mais je me suis rendu compte que ma vie était très ennuyeuse. Je ne souhaitais pas partir à l’aventure, ou faire l’ascension de l’Everest, je voulais faire quelque chose de créatif. Alors très natu­rellement, je me suis remise à écrire, Et j’ai ressenti cette ligne, le symbole de l’écriture, cette ligne de joie entre ma tête et ma main. Écrire a toujours été pour moi une joie. C’est comme construire une cabane dans la forêt, vous y jouez et quand vous avez terminé – c’est-à-dire rendu votre manuscrit – d’autres enfants peuvent venir y jouer,
C’est exactement cela, l’écriture pour moi. » C’était il y a vingt ans. Dès que son premier roman, Horreur boréale, a été publié, elle a démissionné. Et n’a plus jamais arrêté d’écrire. Elle ne peut imaginer ce qu’aurait été sa vie, si elle avait continué à être avocate fiscaliste.

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