Les lecteurs de polars ont la réputation de ne pas trop aimer rigoler, car résoudre un meurtre est une affaire sérieuse… Pourtant, une nouvelle génération d’auteurs – majoritairement français – qui traitent le genre avec humour est en train d’émerger avec succès.
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Confinement, difficultés économiques, guerre en Ukraine… Alors que la période n’est pas à la détente, les fans de polars réclament des livres qui font rire et leur remontent le moral. « Le public est plus réceptif à l’humour. Je pense qu’on est au début d’un mouvement. Franz Bartelt, Jean-Bernard Pouy ont toujours utilisé ce ressort. Jacky Schwartzmann et Sophie Chabanel usent d’ironie pour faire passer des choses qui seraient plus ennuyeuses à lire s’il n’y avait pas ce trait d’humour», explique Gwenaëlle Denoyers, éditrice pour le Seuil. Si le polar comique n’est pas un raz-de-marée, certains titres ont enregistré de très bons scores : Poulets grillés (Albin Michel), de Sophie Hénaff, qui a reçu le premier prix Polar en série en 2015 (décerné par le Festival Quais du polar de Lyon) s’est vendu à trois cent mille exemplaires et a été adapté à la télévision en 2021. Mamie Luger, de Benoît Philippon (Les Arènes, coll. « Equinox ») atteint cent soixante mille ventes et a été adapté au théâtre.
Aujourd’hui, quelques auteurs français incarnent cette nouvelle génération, qui prend le polar au sérieux – l’enquête et le fond social demeurent – mais l’aborde avec une certaine distance, par le style, par les situations et grâce à des personnages foutraques. Ainsi sont apparus sur la scène de la « comédie policière» Sophie Chabanel et son chat (La Griffe du chat, quatre titres au Seuil, coll. « Cadre noir »), Sébastien Gendron, maître de l’humour noir (une quinzaine de titres, notamment chez Albin Michel et Gallimard, coll. « Série noire »), Sophie Hénaff (quatre titres, chez Albin Michel), Benoît Philippon (quatre titres, dont trois aux Arènes, coll. « Equinox »), Jacky Schwartzmann (sept titres, dont trois au Seuil, coll. « Cadre noir »), Pascale Dietrich (trois titres, chez Lia na Levi), et, dans une moindre mesure, Marin Ledun (deux titres de la saga de Rose à la « Série noire » ).
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Il y a eu des prédécesseurs. Les polars de Donald Westlake, dont notamment les aventures de John Dortmunder, ceux de Carl Hiaasen, qui dénonce les scandales écologiques en Floride et que le New York Times compare à Woody Allen, les ouvrages de Tim Dorsey, et « son monde peuplé de freaks hilarants et tordus », n’ont pas toujours rencontré un succès grand public. « Chez Westlake, c’est l’ironie qui permet de s’amuser, avec une nonchalante élégance, des clichés du polar, par exemple à travers le personnage de Dortmunder, cambrioleur malchanceux qui se trouve toujours embarqué dans des situations loufoques. Son compatriote Elmore Leonard, lui, a su se réapproprier les archétypes du polar et du western pour en tirer des romans colorés et goguenards, aux dialogues très drôles. [ … ] Jean-Bernard Pouy opte pour une approche ludique et pétrit une langue faite de jeux de mots et de résonances, tout en composant ses textes selon des contraintes oulipiennes », analysent Clémentine Thiebault et Mikaël Demets dans leur ouvrage Polar : le grand panorama de la littérature noire (La Martinière, 2013).
Alors, qu’est-ce que la comédie policière ? L’.enquête reste le moteur de l’intrigue et sert la dénonciation des travers de la société, propre au roman noir. Shit !, le quatrième titre de Jacky Schwartzmann, a pour cadre la banlieue de Besançon, où un jeune CPE de collège tombe sur 100 kilos de cannabis et entreprend de redistribuer les richesses, confrontant deux mondes, celui de la drogue et celui des pauvres. Dans Poulets grillés, de Sophie Hénaff, l’enquête est classique mais souligne aussi l’opposition entre deux univers qui ne se comprennent pas au sein de la police, celui de la hiérarchie et celui du terrain, où le quotidien est parfois dantesque, sans parler des guerres intestines qui font rage. Son quatrième opus de la série sur la PJ de Paris, à paraître, traite aussi d’un phénomène de société : les piqûres dont les jeunes seraient victimes dans les soirées. Tandis que !’Américain Jerry Stahl, connu pour son humour juif new-yorkais, dénonce férocement la « disneylandisation » des lieux de mémoire dans Nein, Nein, Nein ! paru en janvier dernier (Rivages).
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