On a beau être en plein milieu de l’hiver, un samedi matin plutôt lugubre de grisaille parisienne, quand Daniel Zagury décroche son téléphone pour vous répondre, ça vous réchauffe les tympans. Il y a dans cette voix un mélodieux mélange : quelques éclats de rocaille, un timbre posé avec ce qu’il faut de graves pour la rendre aussi accueillante qu’un concerto de violoncelles. On est bien, là, à l’écouter parler. Comme un chroniqueur du crime, « Zagury raconte ».
Après avoir recueilli les confessions de la plupart des plus célèbres meurtriers de l’Hexagone – Pierre Chanal, Michel Fourniret, Patrice Alègre ou Guy Georges –, nul doute qu’il aurait de quoi alimenter un podcast… Mais c’est sur l’enjeu de sa mission qu’insiste l’expert judiciaire, dépêché par la justice pour faire la lumière sur les raisons de crimes qui dépassent souvent l’entendement: « Le plus important, c’est la pédagogie.
Dans ces procès de tueurs en série, on connaît toujours la fin du film. L’intérêt va d’abord porter sur ce qu’on va réussir à comprendre. L’attente de la justice et la société est telle que vous ne pouvez pas rendre un torchon de cinq pages! Pour Guy Georges, par exemple, c’était quatorze entretiens répartis entre quatre confrères et un rapport de quatre-vingt-dix pages au final. » Ce travail minutieux s’accompagne toujours d’une étude approfondie du dossier d’enquête, aussi nécessaire à la qualité des débats des prétoires qu’aux familles de victimes.
Selon lui, rien ne le prédestinait à travailler auprès de ces patients hors normes : « Bien sûr, j’avais lu des polars ou vu Le Silence des agneaux, comme n’importe quel pékin moyen… Et puis j’ai rencontré mon premier tueur et ça m’a traumatisé. » Au début des années 1990, il officie au centre hospitalier de Ville Évrad (Seine-Saint-Denis) quand la justice fait appel à lui. Stéphane Delabrière, coupable de deux homicides ultraviolents, doit comparaître prochainement et les magistrats ont besoin de réaliser une expertise psychiatrique. Lorsqu’il débarque en prison, le praticien, un brin effrayé, trouve face à lui un jeune homme psychotique « en plein processus dissociatif », narrant ses méfaits en détail. D’abord, le meurtre d’une femme de 63 ans, achevée à la pelle et à la scie à métaux. Puis à coups de barre de fer, celui d’un marin qu’il a ensuite décapité. À la tête découpée qu’il avait emportée avec lui, il avait demandé : « Comment c’est, après la mort ? » En clair, un cas authentique de pathologie mentale, en vérité plutôt rare chez les tueurs en série. Le praticien a beau avoir l’impression d’avoir rencontré le diable, comme il le confessera dans son livre L’Énigme des tueurs en série (Plon), Daniel Zagury se prononce alors pour un placement médicalisé du prévenu : « Je pensais avoir démontré certains mécanismes et avoir alerté la justice. J’étais jeune… Lors du jugement, je n’ai pas été suivi. Derrière, il est arrivé ce que je redoutais : il a tué de nouveau », se remémore-t-il. Au mois d’août 1992, alors qu’il est incarcéré à Rouen, Stéphane Delabrière attaque au couteau un surveillant de prison qui décédera quelques heures plus tard. « Ça m’a profondément affecté », confesse l’expert. Dans cet échec, il puisera la motivation d’une vie : « Le tueur en série, c’était une sorte de piège dans les débats de l’époque. Un psychiatre vous expliquait que c’était un pervers, un deuxième, un psychopathe, et un troisième, un malade mental… Et au milieu de tout ça, les magistrats comptaient les points ! J’ai voulu réfléchir à un modèle pour rendre compte de la complexité du phénomène », témoigne-t-il.
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Alibi #9 – spécial tueurs en série
Dossier spécial sur ces semeurs de mort. Un grand entretien avec Guillaume Musso. Los Angeles: visite guidée avec Michael Connelly !