Il demeure le père du roman noir moderne qui, avec lui, s’arrache au décor des salons huppés pour investir les bas-fonds des villes. Fier d’être américain et ouvertement marxiste, il n’aura écrit que cinq romans, mais aura défini à jamais l’archétype de la figure du privé.
© Mathias Walter
C’était un homme constamment malade, qui se livrait peu et buvait beaucoup. Le gars plutôt discret, selon sa fille Joséphine, qui écrivait à son propos : « il connaissait parfaitement les limites et les dangers du langage. » Dashiell Hammett (1894-1961) est né dans la ferme familiale du Maryland, où son grand-père était cultivateur de tabac. Il quitte rapidement l’école et remplit son « CV-type » d’écrivain américain digne de ce nom en faisant tous les petits boulots possibles… En 1915, il entre à l’agence de détectives Pinkerton, sollicitée à l’époque notamment pour briser les grèves. Souffrant de vertiges et d’essoufflement, il démissionne en 1921 et se met à écrire. Avec un succès rapide, il fera le bonheur du pulp Black Mask, dans lequel il publiera ses histoires sous forme de feuilletons, avant qu’elles ne soient reprises en romans. Son premier chef-d’œuvre, Moisson rouge, sort en 1929. Son détective, le « Continental Op », anonyme et qui se fait passer pour un marin, vient enquêter dans une ville minière des Rocheuses, Poisonville – ou Personville -, qui s’est développée sur la fièvre du cuivre, où le pouvoir a été accaparé par un seul homme, or ce dernier a perdu le contrôle sur les malfrats qu’il a recrutés pour réprimer les grèves de façon violente. On sait que Hammett s’est alors inspiré de la ville de Butte, dans le Montana : en situant le cœur de l’action dans ce qui était autrefois le « Wild West» américain , Hammett a révolutionné la littérature populaire de l’époque en la faisant sortir du western et du XIXe siècle, remplaçant les histoires de guerres indiennes et de hors-la-loi par la lutte des classes, liée au capitalisme naissant, réhabilitant la figure du syndicaliste en évinçant celle, idéalisée, du cow-boy.
Ses romans suivants, Le Faucon maltais ou La Clé de verre, seront du même acabit, ne lésinant pas sur la violence, jouant sur l’argot des rues, et décrivant une Amérique corrompue. S’il s’agit bien de l’invention d’un nouveau genre, dit« hard boiled », on la doit d’abord à la dépravation peu ordinaire des héros : «il était trop vieux et trop malade pour que je le gifle. Je ris et répondis : J’attends des preuves. » Il publiera peu dans la deuxième moitié des années 1930, ayant découvert l’engagement au sein du Parti communiste américain.
En 1928, il écrivait à son éditrice : « Je suis l’une des rares personnes – s’il en reste encore – moyennement cultivées qui prennent le roman policier au sérieux. » Il estimera ensuite que son dernier roman paru, L’lntrouvable (1934), est celui qui ressemble le plus à un roman policier. Sa vraie trouvaille, c’est le privé. Un Sam Spade bien moins reluisant que Philip Marlowe – le héros de Raymond Chandler-, et qui affirme : « Je ne suis pas contre une somme raisonnable d’ennuis.» En France, Hammett est rapidement adulé par André Gide, qui martelait que les auteurs français feraient bien de s’en inspirer pour écrire leurs dialogues. Mieux que quiconque, il aura sondé, puis marqué durablement, l’inconscient collectif américain.
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