Diplomatie policière

Après une brillante carrière au sein de la police judiciaire, le commissaire division­naire Souvira a quitté la France pour le Maroc, puis l’Espagne. De la dynastie alaouite à la maison des Bourbons, il revient sur ses années à un poste qui relève autant du travail de policier que de celui de diplomate. Ses souvenirs nous entraînent dans les coulisses d’un métier peu connu, celui d’attaché de sécurité intérieure (ASI).

© Gabriel Germain

En ce début septembre 2015, je m’apprê­tais à prendre mon poste d’attaché de sécurité intérieure (ASI) au Maroc. «Le commandant de bord et l’ensemble de l’équipage ont le plaisir de vous accueillir à bord du Boeing 737-800 de la compagnie Royal Air Maroc à destination de Rabat-Salé. » Après trente ­cinq ans de police judiciaire, dont quinze passés à la direction centrale de la PJ, comme chef du service de la répression de la traite des êtres humains puis à la tête de l’anti-blanchiment et de la lutte contre le finan­cement du terrorisme, j’amorçais le dernier tournant de ma carrière. Mais aussi une sorte de retour aux sources. J’avais souhaité l’Algérie, mon pays de naissance, comme affectation. Pas de chance. Mon collègue devait y rester deux ans de plus. La Direction de la coopéra­tion internationale de (DCI) me proposa de rejoindre le Maroc, ce que j’acceptais volontiers, d’autant que ce pays intéressait au plus haut point nos services. En effet, le Maroc est le premier pays producteur mondial de cannabis, dont une partie de la production inonde notre pays. Du point de vue du terrorisme, des ressor­tissants marocains de Ceuta et Melilla, ces enclaves espagnoles dans la région du Rif, avaient rejoint l’État islamique. Leur retour pouvait s’avérer problématique. Et enfin, les réseaux d’immigration illégale y étaient très présents. En matière de coopération policière, il y avait l’embarras du choix. Durant mes très nombreuses missions de PJ à l’étranger, j’avais côtoyé des ASI et connaissais leur métier – moitié flic, moitié diplomate-, au service de nos concitoyens. J’appréhendais ce nou­vel engagement professionnel avec enthousiasme. « Tu prends ton poste au Maroc, tu verras, c’est compli­qué», m’avait prévenu le directeur du service. « Entre le Maroc et la France, c’est le froid diplomatique. La coopération, sous toutes ses formes, est quasiment à l’arrêt. Il faudra être patient, ne pas froisser le partenaire, comme on dit au Quai d’Orsay, et attendre que les choses se tassent. Nos diplomates rament dur pour apaiser les tensions, mais ce n’est pas évident.» Cette situation ne m’était pas étrangère, toute la presse s’en faisait l’écho. Avant de me souhaiter bonne chance, il me délivra un mes­sage plus engageant : « Une dizaine de jours après ton arrivée, le président Hollande se déplacera à Tanger pour une visite de travail et d’amitié avec le roi du Maroc. La préparation du voyage officiel est sur les rails, assure ­toi que tout soit cadré, il ne manque­rait plus qu’il y ait un incident! Le but du président est de réconcilier, ou de normaliser, appelle ça comme tu veux, nos relations. Il emmène tout un aréopage de ministres, dont deux d’origine marocaine, Najat Vallaud-­Belkacem et Myriam El Khomri, mais aussi des chefs d’entreprise et des journalistes.»

© Gabriel Germain

Si ces informations me rassuraient, la suite me prouverait que mon optimisme était excessif. Pendant le vol, je repensais à ma semaine de préparation. Nous étions une trentaine de nouveaux ASI atten­tifs aux instructions. Notre mission pouvait se résumer à : « La sécurité de la France commence à l’étranger par la lutte contre la criminalité sous toutes ses formes. Vous contribuez ainsi à la sécurité intérieure. L’assistance à la communauté française sera une de vos priorités en lien avec les consu­lats. L’état-major de la DCI fonctionne H24, l’information immédiate de votre centrale est fondamentale. » Enfin, les services de renseignement firent un point de situation en regroupant les ASI par zone. Je retenais que notre activité ainsi que les informations transmises sur le partenaire étaient sensibles et qu’il fallait être très prudent avec les téléphones portables. Rien de nouveau sous le soleil !

Atterrissage à l’aéroport de Rabat-Salé. Quelques minutes plus tard, un policier décortiquait mon passeport diplomatique, comparant à plusieurs reprises mon visage avec celui de la photo avant de daigner apposer le tampon d’entrée. En me dirigeant vers la livraison des bagages, mon passeport fut encore examiné deux ou trois fois. À l’extérieur m’attendait le magistrat de liaison chez qui j’allais demeurer un mois, le temps de trouver un appartement et d’attendre l’arrivée de mon déménagement. J’appréciais sa prévenance et son accueil.

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