L’engouement pour les séries policières a poussé chercheurs et enseignants à s’intéresser à cet univers pour tenter de comprendre leur succès.

Emmanuelle Delanoë-Brun est l’une des plus fines connaisseuses de la question. Elle explique qu’au-delà du divertissement qu’elles procurent, les séries nous en apprennent aussi beaucoup sur l’âme humaine.
Pouvez-vous nous parler de l’émergence en Angleterre comme aux États-Unis de cet intérêt pour le crime ? Comment s’est-il mué en matériau pour la fiction ?
L’intérêt pour la matière criminelle est une très vieille histoire. On peut s’appuyer sur les travaux de Judith Flanders, une chercheuse canadienne qui a travaillé sur la passion pour le crime à l’ère victorienne, pour le comprendre. Flanders expose que dès le x1xe siècle, cette fascination émerge à travers la presse d’abord. À l’époque, on apprend et diffuse sur des espèces de feuilles volantes, pas forcément liées à un journal, les crimes qui arrivent ici et là. Ces« faits divers» suscitent la curiosité chez Monsieur et Madame Tout-le-monde envers la personnalité du meurtrier, l’enquête, mais aussi le procès. Ce matériau issu de la réalité inspire énormément chansons, poèmes et histoires-, et également des musées – comme celui de Madame Tussaud, en Angleterre, avec sa chambre des horreurs qui reconstitue une scène de crime. Aux États-Unis, des journaux, qu’on appelle libraries, se spécialisent dans la fiction d’histoires criminelles. Ils se concentrent le plus souvent autour d’un personnage, tel The Old Sluth (« Le vieux détective »). Avec les libraries se développe une véritable industrie du feuilleton criminel dans la presse. Cette dernière va inspirer le septième art qui, doucement, se met à produire de plus en plus de créations cinématographiques policières. La reprise du personnage de Nick Carter en est une bonne illustration. [détective privé, le personnage apparaît pour la première fois à la fin du x1xe siècle dans des dime navels, romans à deux sous, pour se retrouver en 1908 héros du feuilleton en six épisodes Nick Carter, le roi des détectives]. Puis, les feuilletons radiophoniques voient également le jour sous l’impulsion des auteurs de romans noirs américains qui déploient leurs personnages sur les ondes. Et en 1950, Jack Webb, connu comme acteur de série B à Hollywood, réalise Dragnet: la première série américaine policière.
D’après vos travaux, pourquoi un tel engouement du côté du public pour les séries policières ?
La fascination pour le fait divers et ce qu’il dit de notre société ne datent pas d’hier. Les téléspectateurs aiment ce qui est sensationnaliste, ils seront toujours captivés par l’évocation d’un quotidien dramatique. Toutefois, le genre policier étant très varié, il attire des publics différents en fonction de ce que les gens recherchent. Pour leur côté divertissant, voire comique, on se tournera plutôt vers des séries comme Columba, où l’attention du téléspectateur sera focalisée par la résolution de l’énigme. D’autres séries se veulent plus rassurantes et sont marquées par une constante : le retour à l’ordre. Elles s’attachent surtout à montrer la grande efficacité sociale de la police. On pense par exemple aux Experts ou à Law and Order. Enfin, d’autres encore se veulent plutôt éducatives et informatives. Elles sont généralement plus sombres et s’intéressent à des dimensions plus politiques, comme les rapports de force ou de lasse. The Wire utilise le genre policier pour décortiquer le fonctionnement socioéconomique et politique des USA. Quant aux différentes séries Chicago Policement une loupe sur la société américaine, analysant les fonctionnements et dysfonctionnements de ses différentes institutions: police, pompiers et hôpital. Miroir de la société à l’instant T, les séries mettent en lumière les facettes de l’âme humaine, les ressorts du crime, mais permettent aussi de réfléchir à des questions éthiques, sociales ou politiques.
Découvrez la suite dans l’article : Emmanuelle Delanoë-Brun, propos recueilli par Clara Hesse parus dans Alibi #11
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