Affaire du Grêlé, Charles Manson, la bête du Gévaudan… Le fait divers apparaît en une des journaux, fait l’objet de chroniques, de séries télévisées, de blogs ou de pages Facebook. Sanglant, énigmatique, révélateur de faits de société, il suscite l’intérêt… pas toujours pour de bonnes raisons. Entretien avec le sociologue Michel Moatti.
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Pour commencer, pouvez-vous préciser ce qu’on entend par fait divers ?
La définition originelle du fait divers est ce qui sort de l’ordinaire. Plus généralement dans le jargon journalistique, c’est ce qui n’intègre pas les rubriques classiques : politique, économie ou social. Ce qui a toujours été balisé comme fait divers depuis au moins le début du xxe siècle, ce sont les crimes et autres petits événements inattendus du quotidien. Aujourd’hui, cette définition a tendance à s’élargir. À l’inverse, certains sujets n’y sont plus intégrés. C’est le cas, par exemple, des violences domestiques qui auraient pu entrer dans la rubrique des faits divers au début du xxe siècle et sont désormais plutôt positionnées dans la rubrique sociétale. Les éléments d’information changent de rubrique en fonction de l’évolution de la société.
Depuis quand ce pan de l’information fait-il l’objet d’un traitement médiatique ? Et pourquoi ça marche ?
La médiatisation du fait divers a fait son entrée triomphale dans l’espace public au xixe siècle, alors que la presse prend son essor et devient grand public. Avec la croissance de l’alphabétisation, les journaux mettent en avant les faits divers, car ces derniers sont plébiscités par le public et favorisent la vente des journaux. Depuis les années 2000, le fait divers est redevenu bankable : il est un produit sur lequel on peut miser. Ce n’était pas forcément le cas dans la période des années 1970 à 1990. Sauf cas particulier, comme l’affaire Patrick Henry, l’affaire Grégory, ou encore l’affaire Romand. Ces faits divers ont été des exceptions et ce type d’actualité endossait un côté un peu vulgaire dans les grands médias. La place d’honneur était décernée à la politique, éventuellement aux affaires de société. Plus récemment, le fait divers a été réhabilité sous les coups de boutoir des chaînes d’information en continu, prenant exemple sur les breaking news des télévisions américaines. Elles ont rapatrié le fait divers au sein des rubriques un peu plus nobles, voire l’ont placé en tête de gondole. C’est peut-être même pour ces raisons que – hors moment paroxystique d’actualité, comme le Covid, les élections présidentielles, les événements tendus de crise – le fait divers occupe la place d’honneur dans les médias d’information en continu.
Vous parlez des chaînes d’information en continu, mais les journaux plus traditionnels mettent également en avant ce type d’actualités…
Le fait divers est un produit d’appel, qui fait venir des clients. Par exemple, un grand quotidien comme Le Monde, qui a longtemps boudé le fait divers avec une part majeure accordée à la politique, à l’international, aux questions de société, multiplie aujourd’hui les récits autour de criminels comme Nordahl Lelandais ou le tueur de la gare de Perpignan. Ce qui aurait été impensable vingt ans plus tôt. Par exemple, lemonde.fr a publié le portrait-robot du Grêlé alors qu’il venait tout juste d’être identifié par son ADN. Le site de Libération a fait sa une toute une après-midi sur l’identification de ce tueur en série. C’est du pur fait divers qui, trente ans auparavant, aurait fait la une de France-Soir.
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