Histoire en séries : les séries policières

En 1958, à 20 h 15, RTF diffuse le premier épisode des Cinq Dernières Minutes. Le concept est familier à n’importe quel spectateur de 2022.

Raymond Souplex (appelé pour la seule fois du programme « l’inspecteur Sommet», avant de devenir l’inspecteur Bourrel dès le deuxième épisode) incarne un flic bourru et expérimenté qui en questionnant des suspects, en examinant la scène du crime et en revivant des séquences qui se sont déroulées avant son arrivée, découvre des indices et tente de résoudre une affaire criminelle.

Ce qui frappe dans ce premier épisode, La Clé de l’énigme, ce n’est pas le titre évocateur ou l’interprétation déjà carrée – la démarche bonhomme, le pas raide comme la justice et les manières de flic intraitable. Ce n’est pas non plus le concept (deux spectateurs assistent en direct à l’enregistrement de l’épisode et doivent trouver « la clé de l’énigme » en même temps que l’inspecteur). Non, ce qui surprend, c’est qu’en 1958, alors que la fiction télé française est encore balbutiante, une série contenait déjà tous les thèmes, les histoires et les clichés qui allaient dominer le médium jusqu’à aujourd’hui : des flics, des meurtriers, de la violence, de la manipulation … Il suffit d’allumer la télé. Tous les jours, à toute heure, on tombe sur des (sales) types qui commettent un acte de transgression sociale, parfois d’une violence ou d’une sauvagerie inouïe, et sur un homme qui vient ensuite recoller les morceaux.

Mais pourquoi la télé est-elle à ce point obsédée par les flics et les voyous ? Qu’est-ce qui fait du crime l’une des quintessences des créations télévisuelles depuis les origines ?

Si les fictions d’enquête ne sont bien sûr pas l’apanage du petit écran -certains livres, films, et même jeux vidéo sont également obsédés par le noir-, c’est sans doute là qu’elles s’imposent avec le plus d’évidence sous toutes les formes : flics qui enquêtent dans des stations balnéaires, true crime, adaptations d’Agatha Christie, détectives avec des pouvoirs surnaturels, femmes de ménage, à haut potentiel qui aident les inspecteurs, vie quotidienne, d’un commissariat… Dès le début, la série policière est devenue un totem de la télé – elle est née avec elle et a tout de suite été appréciée pour son efficacité dramatique. Un épisode de série policière dite « procédurale », c’est l’assurance d’un mystère, d’une enquête et d’un dénouement amené par une équipe de professionnels de la loi en moins d’une heure montre en main.

Bien avant Navarro ou Julie Lescaut, les héros justiciers vont donc se multiplier. À peine un an après la première enquête de Bourrel, un autre enquêteur débarque sur la RTF : dans Les Aventures d’Oscar, le détective Oscar Mirandol de Castel Barbazac enquête sur des affaires étranges et sillonne le pays au volant de Mirabelle, sa Citroën Trèfle. Gros succès d’audience, cette série qui débute en 1959 va propulser les enquêtes criminelles dans un monde plus coloré, plus farfelu, en un mot plus « pop ». Et ces deux séries (Les Cinq Dernières Minutes et Les Aventures d’Oscar, vont avoir de nombreux imi­tateurs – du Commissaire Moulin à Navarro, en passant par les Brigades du Tigre ou Nestor Burma

Plus rapidement assimilable que son équivalent litté­raire, la série policière fait partie de l’ADN de la télé. Mélange parfait de fausses pistes, de déductions, par­fois d’agressions, elle tient les téléspectateurs en haleine depuis plus de soixante-dix ans, sans avoir dû rebooter son logiciel. Vertu suprême pour les chaînes privées, elle se prête aussi parfaitement aux coupures pub. On comprend donc facilement qu’avec de tels attributs, le genre se soit imposé en rendez-vous incontournable. Une des premières explications paraît simple : on aime les histoires criminelles parce qu’elles mettent en scène des situations, des faits dont l’exécution nous est littéralement interdite ou que nous nous empêchons de mettre en œuvre. C’est un pur fantasme : elles exposent les instincts les plus sombres de l’imagination humaine, ceux qu’on ne doit surtout pas explorer, encore moins flatter. Elles se penchent sur des comportements effrayants, sensationnels et traumatisants que nous ne pouvons pas nous permettre (au risque d’exploser nos vies « normales »), mais qui nous titillent secrètement.

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