Le créateur de James Bond a voulu ardemment le succès, et l’a obtenu grâce au charisme fou de son héros, au service de Sa Majesté. Pourtant, rattrapé par son penchant pour l’autodestruction, il n’a pu profiter pleinement de cette réussite, poussée par le cinéma.
Crédit illustration: © Mathias Walter
A l’un de ses amis, fan Fleming confie, en 1945 : « J’ai l’intention d’écrire le roman d’espionnage qui dépassera tous les autres. J’ai le savoir-faire et les connaissances, j’en ai l’expérience et, avec un peu de chance, je trouverai peut-être le temps et, je l’espère, le talent, pour raconter une histoire, et un éditeur pour l’offrir au public. » Si l’écrivain britannique a accouché de l’un des personnages les plus populaires de tous les temps, c’est bien à force de volonté. Pourtant, longtemps, Fleming a eu des allures d’éternel dilettante. Né à Londres en 1908 dans une famille de riches banquiers, il est très tôt orphelin de son père, mort en France au cours de la Première Guerre mondiale. S’il grandit avec d’immenses espérances financières, l’argent tarde à venir. Pourtant il aime la vie facile, autant que les conquêtes féminines qu’il multiplie sans grande tendresse. De quoi pourrait-il vivre ? Dans la famille, l’esprit brillant, c’est son frère, Peter, écrivain voyageur au charme irrésistible. lan, de son côté, travaille un temps pour l’agence de presse Reuters, ce qui lui donne l’occasion d’effectuer des reportages en Russie. Le journalisme payant mal son homme, Fleming décide de devenir agent de change. Mais les perspectives sont fragiles, et l’ennui menace. La guerre change la donne. En 1939, il est recruté par le service de renseignement de la Royal Navy, intéressé par sa maîtrise de l’allemand et du français. Il y travaille six ans, jusqu’à obtenir le titre (temporaire) de capitaine de vaisseau. Et accumule les idées…
Correspondant au quotidien The Sunday Times après guerre, il négocie un contrat lui offrant deux mois de vacances l’hiver, en plus des vacances d’été. Il les met à profit pour écrire, dans sa propriété de Goldeneye, en Jamaïque – son havre, nommé ainsi en référence à une opération à laquelle il a participé pendant la guerre. C’est en 1953 que paraît le premier James Bond, Casino Royale. Il en écrira douze autres, mettant en scène 007, l’agent avec permis de tuer, qui devient bientôt une icône planétaire. Avec ou grâce à un coup de pouce du président John Fitzgerald Kennedy, qui cite Bons Baisers de Russie comme l’un de ses livres favoris lors d’une interview pour le magazine Life en 1961. Ian Fleming fera en retour un clin d’œil au président étasunien dans L’Homme au pistolet d’or, où 007 lit Profiles in Courage, d’un certain… Kennedy, un ouvrage plutôt austère.
Fleming amène au monde d’après-guerre la fantaisie débridée dont il a bien besoin. Il fait feu de tout bois pour nourrir son imagination flamboyante : il utilise ses souvenirs dans l’univers du renseignement tout comme ses nombreuses rencontres avec différentes personnalités, tel le commandant Cousteau. Embarqué à bord de la Calypso, il en ramène des détails sur la plongée sous-marine qu’il mettra à profit dans Vivre et laisser mourir. La première adaptation au cinéma des aventures de son héros – Dr No, avec Sean Connery – sort en 1962, et fait définitivement entrer l’agent 007 dans la légende. Un succès dont Ian Fleming profitera finalement peu. Comme son personnage, il fume et boit à l’excès. En 1964, il s’effondre, victime d’un infarctus du myocarde, à 56 ans. Le mythe, lui, est en marche.
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