Ian Rankin : l’ombre du temps

Confiné en Écosse, l’écrivain bloqué entre quatre murs ne chôme pas. Romans, pièces de théâtre, il profite de la situation pour écrire, moins pour lire. C’est loin de son pub fétiche mais via écran interposé qu’il nous a accordé cet entretien, dans lequel il prouve qu’il n’a rien perdu de sa verve et de son humour. What else ?

© Paolo Bevilacqua

Le maître du « tartan noir », polar noir urbain version écossaise, père de l’inspecteur John Rebus, nous reçoit virtuellement dans son antre d’écrivain, au fond du jardin. Ce qu’il appelle sa « cabane » est en fait un joli petit appartement où il a installé son bureau et une pièce dédiée à la musique. Il traverse quotidiennement le petit parc qui le sépare de chez lui pour y passer la jour­née à lire et à écrire. Au moment où l’on transcrit notre échange, il est toujours confiné…

Question désormais rituelle : comment allez-vous et comment se passe le confinement ?
Je vais plutôt bien, même si je commence à trouver le temps long. Ici, en Écosse, vous n’êtes autorisé à sortir de chez vous accompagné que d’une seule personne. Vous pouvez passer du temps dehors, même jouer au tennis, mais en simple seulement ! Les règles changent constamment et c’est difficile pour tout le monde. Lors du premier confinement, nous n’avions le droit de nous déplacer que dans un rayon de huit kilomètres. Nous étions donc coincés à Édimbourg, mais comme nous avons la chance d’habiter dans le centre, je pouvais me promener dans les rues désertes. Et huit kilomètres vous emmènent très loin dans la ville ! C’était inédit, cette ville déserte. Mon dernier livre, Le Chant des ténèbres, a été écrit durant cette période. J’ai commencé le premier jet en octobre 2019. Et puis je suis allé à la bibliothèque pour faire des recherches sur les camps d’internement et de prison­niers de guerre dans le Nord de l’Ecosse. Je suis monté dans ma voiture pour aller voir sur place. Quand le confinement a été décrété, j’étais prêt pour écrire le jet suivant dans ce bureau. C’est un appartement de deux pièces au fond d’un jardin. C’est comme s’enfermer dans une cabane. Je m’y rends tous les jours et j’écris. Pendant cette période, il n’y a rien d’autre à faire. Entre les deux confinements, en septembre, nous sommes allés à Londres avec mon fils qui étudie l’histoire de l’art à Édimbourg pour voir une exposition d’un peintre italien. Nous étions les seuls dans le wagon du train. Nous sommes arrivés vers 17 heures et King Cross était déserte, comme le métro. Et nous étions les uniques clients de l’hôtel. Trafalgar Square était vide aussi. C’était extraordinaire, une ville de zombies. Bizarrement, il y avait du monde à la National Gallery. Mon autre fils est très handicapé et vit dans un centre spécialisé à vingt minutes d’ici. Nous ne l’avons vu que peu de fois cette année, der­rière une porte ou par-dessus un mur. Ils commencent juste à auto­riser les visites d’un membre de la famille avec masque, gants et test PCR négatif… Ils nous ont permis de le ramener à la maison pour Noël. C’était la première fois depuis février 2020 que j’ai pu le serrer dans mes bras. C’est très dur. Mais là où il est, il est très bien pris en charge. Les voyages me manquent terriblement. Nous devrions être à l’heure actuelle à Sainte-Lucie avec ma femme. Nous avons réservé nos billets en avril 2020, certains que tout serait terminé en janvier 2021 ! Nous avons tout annulé. Le soleil, la plage, une bière bien fraîche, tout cela me manque. Et juste d’être ail­leurs qu’à Édimbourg, ailleurs que dans cet appartement.

© Paolo Bevilacqua

Dans une interview, vous avez récemment dit que les deux confi­nements ont été propices à l’écri­ture mais que vous avez eu beau­coup de mal à lire…
Au début, je m’étais dit que j’en profiterais pour lire des classiques, mais je me suis rendu compte que j’étais incapable de me concentrer : je pensais sans cesse à la situation, au Brexit, à Trump. Finalement, j’ai lu des livres que j’avais déjà lus et aimés. Des romans de Simenon, de Muriel Spark, dont j’apprécie énormément l’œuvre.

Vous écrivez beaucoup ?
J’ai été approché au printemps dernier par un éditeur qui possédait des notes de travail de l’auteur décédé William Mcllvanney. Sa veuve et son agent souhaitaient que je lise les notes pour en faire un roman. C’était un immense honneur. Un roman qui se passe à Glasgow en 1972. Bon, je ne connais pas bien la ville et à l’époque, j’avais seulement 12 ans ! Pour moi, il s’agissait donc d’un roman historique. Il m’a fallu me plonger dans cette période et j’y ai pris beaucoup de plaisir. C’était une responsabilité énorme d’écrire ce livre, car je suis un fan de Mcllvanney et il a eu une grande influence sur moi – bien que nos styles soient très différents. Je vou­lais donner au lecteur l’impression qu’il avait été écrit par Mcllvanney. Ce dernier avait laissé une trentaine de pages rédigées et j’en ai donc composé environ cent soixante de plus. Quand sa veuve a lu le manuscrit final, elle a dit ne pas avoir repéré de ruptures de style : elle aurait été incapable de pointer lequel de nous deux avait écrit quelle page, et c’était comme si je lui avais redonné vie. C’est un très beau compliment ! Cela m’a beaucoup touché. Le livre sera publié en septembre 2021.

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