La grande évasion

Voilà bien une récompense littéraire qui sort de l’ordinaire: le Prix Goncourt des détenus. Remis pour la première fois fin 2022, il permet un accès à la lecture aux personnes incarcérées.

© CNL

Pour la première fois en 2022 s’est tenu le Goncourt des détenus, un nouveau prix créé avec l’Académie Goncourt par les ministères de la Justice et de la Culture : «Cette initiative vient rapprocher deux mondes considérés à tort comme éloignés, celui de la création littéraire et celui de l’univers carcéral», précise Roselyne Bachelot-Narquin alors qu’elle est toujours ministre de la Culture et qu’elle monte ce projet aux côtés d’Éric Dupond-Moretti en 2022. Plus de cinq cents détenus de trente-et-une prisons fran­çaises ont lu les œuvres sélectionnées, ont rencontré les auteurs et autrices et ont échangé avec eux. Chaque éta­blissement a choisi trois œuvres, et c’est dans une salle du Centre national du livre à Paris, que dix détenus – jury choisi pour les délibérations finales en huis clos, bénéfi­ciant d’une permission de sortie ou en visioconférence – ont délibéré pour finalement attribuer ce premier prix à Sa préférée, de Sarah Jollien-Fardel (Sabine Wespieser Ed). Philippe Claudel, membre de l’Académie Goncourt en a profité pour faire une sortie remarquée : « Aujourd’hui où, dans les discours politiques venus de presque tous les bords, on ne cesse de promouvoir la construction de nou­velles prisons, il s’avère nécessaire [ … ] de faire en sorte que dans ces nouveaux lieux d’enfermement qui verront le jour, on puisse amener autant de livres qu’il y aura de portes, de serrures, de grilles, de remparts et de miradors, de parpaings dans les murs car là où l’esprit a abdiqué, il faut aussi que l’esprit puisse trouver à renaître. »

Ce prix n’est pas juste une opportunité pour les détenus de lire, il leur permet surtout de s’évader spirituellement, de retrouver une forme de liberté. Interrogé lors du festi­val des Assises Internationales du roman de la Villa Gil­let (maison européenne et internationale des écritures contemporaines à Lyon) sur comment l’écriture répond à la violence , l’auteur britannique Harry Parker affirme:« Je crois que l’écriture est encore le moyen le plus sophistiqué de communiquer une histoire. Malgré l’existence de tech­nologies comme les films et les jeux vidéo, la littérature de­meure la meilleure forme de réalité virtuelle : elle crée un monde dans l’esprit du lecteur, en autant de dimensions qui soient. »

L’actuelle ministre de la Culture, Rima Abdul Malak, abonde en son sens : « Je suis persuadée que ça aidera à faire baisser la violence et à améliorer ensuite l’insertion professionnelle pour ceux qui sortiront de prison.» Sans le dire, ils ont décrit le principe de la catharsis: on purge nos émotions dans la lecture, on en ressort purifié et libéré de nos pulsions. Voilà qu’un centre de détention est le lieu idéal pour la mettre en pratique, comme le prouvent cer­tains témoignages des participants:« Cette incarcération, grâce à vous [le Goncourt des détenus], aux activités, aux intervenants extérieurs, m’a aidé à réfléchir différemment. Elle m’aura appris des choses et appris d’autres manières pour gérer ma colère, parfois, ou mes émotions et pro­blèmes personnels, trouver des échappatoires auxquelles tu peux prendre plaisir », raconte par exemple Hadrien.

On parle souvent d’identification des lecteurs avec les personnages, de volonté de vraisemblance, pour que ce qui arrive au héros puisse être le reflet de la réalité ou s’en approcher le plus possible. Peut-être qu’il serait cliché ou faux de dire qu’un détenu à plus de choses à raconter de son histoire personnelle, et pourtant, on remarque com­bien dans la littérature la condition du prisonnier, l’enfer­mement, l’isolement est un thème récurrent et important. Jean Valjean ou le Comte de Monte Cristo en sont deux parfaits exemples. Bien que ces personnages et leurs histoires soient fictifs, le sentiment d’oppression reste le même. Un détenu a souvent une histoire bien plus com­plexe que M. Toutlemonde. La littérature n’est-elle pas l’histoire de la complexité humaine ? Ne peut-elle pas devenir le remède aux souffrances des détenus et les mi­nistres instigateurs de cet événement des médecins ? Le Goncourt des détenus est un excellent moyen de nous rappeler l’existence de ces femmes et de ces hommes en soif de liberté, qui trouvent une ouverture sur le monde grâce à un prix aux résonnances déjà internationales.

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