Il est la partie invisible mais incontournable de la grande délinquance : le receleur, ou « fourgue » , en argot. Personnage clef du banditisme, il est celui qui rachète et écoule le butin d’un casse. Mais c’est aussi celui qui, bien souvent, se retrouve « secoué » par la police à la recherche d’informations. Enquête sur un métier périlleux.
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Ils s’appellent Bouzou l’Aveugle, Nez râpé, le Grand Maurice, J3, Hector le fourgue, l Raymond le Marseillais ou encore Charlie la Mouche… des surnoms qui fleurent bon le voyou à l’ancienne, tout droit sorti d’un livre d’Alphonse Soudard ou d’Albert Simonin. Leur point commun ? Un boulot franchement pas comme les autres, une activité hors normes, peu connue du grand public; mais pourtant indispensable pour tout voyou qui se respecte : receleur.
Bouzou : «Allô? »
Marceau : « Oui mon gros ? »
Bouzou : « Ça va ? »
Marceau : « Oui et toi?»
Bouzou : « Ouais … ça [inaudible], parce que j’avais le caviar … Si tu le prends pas faut que je le ramène. Alors faudrait que tu passes demain matin pour me dire… »
Marceau : « Euh … Ben non, je crois pas, j’ai pas de sous alors »
Bouzou : « Tu peux passer demain matin, on va s’arranger de toute façon, on verra bien. »
Marceau : « Vas-y. Ben je passerai. »
Difficile en cette période de fêtes de fin d’année de dire si la conversation porte sur des œufs d’esturgeon, ou si le «caviar» désigne autre chose. Mais les deux protagonistes sont loin d’être des inconnus de la police judiciaire, qui intercepte leur coup de fil ce soir-là. Marceau, c’est Marceau Baumgertner, 64 ans à l’époque, surnommé« Nez râpé», un fameux receleur. Bouzou, ou « Bouzou l’Aveugle », Manouche lui aussi, de son vrai nom Marcel Huzler, est décédé d’un cancer deux ans plus tard, en 2018, dans la discrétion. C’était une légende du milieu, un touche-à-tout, qui a même géré un temps une discothèque, La Plage, en bord de Marne, à Gournay (Seine-Saint-Denis). Le lieu de rencontre des voyous du haut du pavé : Antonio Ferrara, futur évadé de Fresnes, ou Nordi ne Mansouri, dit« La Gelée», fer de lance de la bande de Montreuil. Pendant trois décennies, Bouzou aussi fut un très important receleur et « logisticien » pour des équipes de braqueurs. Un de ces personnages comme on en trouve dans les films de Jean-Pierre Melville ou Henri Verneuil, quand les gangsters rencontrent leur« fourgue», dans un pavillon un peu décati ou une casse auto.
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Il y a quelques années, pas moins de cent cinquante palettes de bouteilles d’alcool, dont du champagne et du whisky, disparaissaient d’un entrepôt de Gennevilliers dans les Hauts-de-Seine. Préjudice: 1,5 million d’euros. Quelques semaines plus tard, les gendarmes arrêtaient en flag’ quatre hommes, dont Bouzou qui récupérait chez lui des bouteilles en grande quantité. Il soutiendra n’avoir rien à voir avec le vol. Personne ne pouvait, il est vrai, l’en accuser. Des années plus tôt, encore jeune homme, Bouzou avait été grièvement blessé dans l’explosion d’une bombe. C’était le 19 mars 1984, rue François-Miron, dans le 4• arrondissement parisien, quartier Saint-Paul, au matin. Bouzou avait ouvert la portière d’une Mercedes blanche et s’affairait à l’intérieur, quand soudain, une énorme déflagration … La voiture était projetée sur le trottoir, laissant son occupant avec un bras et une jambe « déchiquetés », selon les journaux de l’époque. Bouzou s’en sortira, mais le voilà, à 26 ans, handicapé à vie.
La Mercedes appartenait à un certain Charlie Taïeb, loin d’être un inconnu. Ce brocanteur de profession, natif de Constantine en Algérie, buvait un café un peu plus loin. Figure du Marais et de la rue des Rosiers où il fait partie du comité de vigilance depuis l’attentat du 9 août 1982 contre le traiteur Goldenberg, on le surnommait « Charlie la Mouche ». C’était un homme en sursis. Moins d’un an plus tard, le 17 février 1985, Taïeb tombe sous les balles de deux tueurs, rue Saint-Antoine, toujours à Saint-Paul, son fief. Deux décharges de fusil de chasse, dont une à bout portant. Il sortait du PMU où il faisait toujours son tiercé. Il avait 36 ans. « La mort d’un receleur qui en savait trop », titrera l’AFP, au sujet d’un homme « bien connu de la brigade de répression du banditisme », déjà condamné pour vol et recel. Un témoin renchérit à l’époque : « On savait qu’il renseignait un peu la police, il a trop joué avec Je feu[. .. ), il continuait le recel pour rester dans le milieu, sur demande. » Oui a tué Charlie la Mouche ? Peut-être bien le parrain parisien de l’époque, Claude Genova, déjà commanditaire de l’attentat raté à la voiture piégée ? « Bouzou était l’homme de confiance de Genova, raconte un ancien du 36, quai des Orfèvres. Genova devait discuter avec des membres du milieu juif et craignant que l’affaire ne tourne pas à son avantage, avait mis une bombe sous la voiture. Mais Je rendez-vous s’est bien passé et il a demandé à Bouzou de la retirer. Il y a eu une mauvaise manip et ça lui a pété à la gueule. » Bouzou a perdu la vue et a subi une amputation d’une partie d’un bras. Ce qui ne l’a pas empêché de faire une belle carrière au sein du milieu.
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