Faut-il avoir été sur le terrain pour écrire des thrillers d’espionnage ou des polars qui donnent le vertige ? Quelques-uns des plus grands auteurs du genre ont fréquenté assidûment le monde du renseignement. En Grande-Bretagne mais aussi en France. Que se cache-t-il derrière leurs « légendes » ? Tour d’horizon.
© Suzy Hazelwood
Début 2013, alors que Gérard de Villiers était encore en vie, le New York Times publiait un long portrait de l’inventeur de SAS et de son héros, l’agent de la CIA Malko Linge (200 romans publiés). Une photo amusante de l’écrivain, coiffé d’une chapka en fourrure, accompagnait l’article titré en anglais « The Spy Novelist Who Knows Too Much » (« l’auteur de thrillers qui en sait trop »). Alléchant, non ? Après avoir décortiqué ses livres de long en large et en travers, le journaliste Robert F. Worth met en avant les stupéfiantes « intuitions » du romancier français, comme cet assassinat par un militant islamiste du président égyptien Anouar el-Sadate dès 1980 (il sera tué en 1981 par un membre d’un commando du Jihad islamique égyptien). Ou les descriptions d’un centre ultra-secret de commandement de la CIA à Benghazi en Libye dans le 191e SAS, quelques mois avant la controverse qui entoura la mort sur place de l’ambassadeur des États-Unis, John Christopher Stevens. Ni une, ni deux… Le journaliste Robert F. Worth prétend dans son article que ces intuitions ont valu à Gérard de Villiers d’être lu par les services secrets et les diplomates « d’au moins trois continents. » À l’appui, des déclarations d’Hubert Védrine, ancien ministre des Affaires étrangères, qui avouait lire des SAS avant ses voyages officiels.
Ex-journaliste notamment à France Dimanche, un peu détective à l’occasion, Gérard de Villiers aurait-il aussi été un espion ? La réponse est oui… et non. Plutôt un « honorable correspondant » des services secrets français, avec toutes les nuances de gris que comporte cette expression. L’écrivain Vincent Crouzet, auteur de huit romans, dont dernièrement le crépusculaire Vesper dans lequel se confesse un ancien agent de la DGSE en Afrique australe, débarqué et soupçonné de trahison (cf. encadré), valide la formule. Ce Lyonnais ajoute même que Gérard de Villiers faisait effectuer quelques piges à d’anciens correspondants du SDECE, devenu la DGSE, pour rendre ses livres encore plus crédibles. Dont Crouzet ? « Non, répond l’intéressé, il s’agissait surtout de gars de l’ancienne génération. » Il faut préciser que Vincent, 56 ans, connaît bien le sujet. Pendant des années, il a lui-même travaillé pour la DGSE, opérant en Afrique australe, fréquentant autant le chef de l’UNITA en Angola, Jonas Savimbi, que celui de la RENAMO anti-communiste au Mozambique, Afonso Dhlakama, et même à l’occasion des trafiquants d’armes devenus célèbres grâce au cinéma, comme Viktor Bout (joué par Nicolas Cage dans le film Lord of War). Une scène, dans une boîte de nuit en Afrique du Sud, sonne particulièrement juste. Forcément : « 90 % de ce que j’écris dans Vesper m’est arrivé. » Mais, précise l’ex-agent, de son point de vue, « n’importe qui, disposant des bonnes infos, est capable aujourd’hui d’écrire un roman d’espionnage. Ce que peut apporter un écrivain qui fait, ou a fait partie de l’univers du renseignement, c’est son vécu. Cette notion d’un monde non-binaire. Un agent du renseignement, un espion si vous voulez, est comme un journaliste sur le terrain. Il faut qu’il se détache, et qu’il soit capable d’empathie pour ceux d’en face, de s’adapter au regard de l’autre. Un agent, comme un reporter de guerre, doit pouvoir raconter, rapporter ce qu’il voit, sans juger. La base du renseignement, c’est l’illégalité, donc l’immoralité. »
© Anete Lusina
Des romanciers espions, il y en a quelques-uns. Les plus connus : Ian Fleming, l’inventeur de James Bond, Graham Greene ou encore John le Carré. Tous les trois anglophones. Dans l’ordre : un vétéran de la Naval Intelligence Division au sein de l’Amirauté britannique pendant la Seconde Guerre mondiale, un ex du MI6, et un ancien du MI5. Côté français, un rapide décompte permet d’identifier parmi les auteurs contemporains les plus intéressants : Vincent Crouzet (Villa Nirvana, Le Seigneur d’Anvers, Radioactif…), le singulier DOA (Pukhtu : Primo, Pukhtu : Secundo…), et Percy Kemp (Le Système Boone, Le Muezzin de Kit Kat…). Sauf que ce dernier, s’il écrit bien en français, est né à Beyrouth et possède la nationalité britannique. Et s’il travaille ou a travaillé dans le renseignement, c’est pour la Middle East Tactical Studies (Mets), une agence d’analyse stratégique qui conseillait surtout les grandes entreprises internationales.
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