Juge d’instruction au pôle antiterroriste jusqu’en 2015, Marc Trévidic continue, en tant qu’auteur et scénariste de bande dessinée, de parler de ce qu’il connaît le mieux, à savoir… le terrorisme islamiste. Rencontre avec un magistrat fan de BD, qui a pris la plume pour raconter des histoires réalistes.
© Jean-Luc Bertini – Flammarion
Pour Marc Trévidic, comme pour beaucoup de gens, la bande dessinée a longtemps été liée à l’enfance. « Je garde surtout des souvenirs émus de la série western Blueberry. Dès qu’un album sortait, je le faisais acheter par mes parents », dit-il. Puis le magistrat a décroché, avant de se rendre compte que la BD était passée à l’âge adulte. Au début des années 2000, il tombe sur les premiers volumes du Tueur, la série dessinée par Luc Jacamon et scénarisée par Matz. Il est alors loin de se douter que, un jour, il cosignera quatre bandes dessinées avec le même Matz, la trilogie Compte à rebours et Les Fiancées du califat, toutes dessinées par Giuseppe Liotti. « Quand on m’a proposé de travailler avec Matz, je n’avais pas fait la relation, s’amuse-t-il. De toute façon, si un éditeur BD n’était pas venu me chercher, je n’aurais jamais imaginé en écrire un jour. J’ai réfléchi avant d’accepter. Mais ça m’intéressait de découvrir comment se conçoit un album. Le milieu est aussi très différent de la jungle de la littérature… on n’est pas à Saint-Germain des-Prés, quoi ! »
Que l’éditeur Rue de Sèvres ait approché Marc Trévidic n’a rien d’incongru. Travaillant au pôle antiterroriste pendant treize années – d’abord comme procureur (de 2000 à 2003) puis comme juge (de 2006 à 2015) – il a acquis une expérience rare en matière d’islamisme radical. « Quand je suis arrivé au parquet antiterroriste, poursuit-il, les matières en vogue, c’était le basque – ETA était encore très puissante – et le corse. Les autres n’avaient pas envie de s’emmerder avec l’islam radical ! Moi, j’avais pris la place, il y avait beaucoup de boulot parce qu’il fallait clôturer les dossiers des attentats de 1995 [attribués au Groupe islamique armé]. » À l’époque, l’islamisme radical n’était pas encore pris au sérieux. « On ne prenait que des coups, déplore-t-il. Des articles de journaux prétendaient que l’on voyait des islamistes partout. Je me souviens d’une réunion à Bruxelles en juin 2001. Seuls quelques pays étaient intéressés pour mener des recherches sur la filière Ben Laden. Les attentats du mois de septembre suivant ont changé la donne. Soudain, la matière était devenue attractive et j’avais pris de la valeur. »
Après que Marc Trévidic a eu quitté le pôle antiterroriste en 2003, Jean-Louis Bruguière lui demande de revenir en 2006, cette fois comme juge. Il occupe la fonction pendant une décennie, jusqu’à son départ en septembre 2015, imposé par la règle administrative des dix ans. Une énorme frustration pour lui. « On était après l’attentat de Charlie Hebdo, tout le monde savait qu’un truc d’envergure allait arriver, qu’on allait vers la cata. Tous les voyants étaient au rouge. C’était difficile de partir, j’estimais pouvoir apporter mon aide », regrettet-il. Surviennent les attentats du 13 novembre, dont le cerveau est le Belgo-Marocain Abdelhamid Abaaoud. « Le 15 août précédent, j’avais le djihadiste Reda Hame dans mon bureau. Il était envoyé par Abaaoud pour se faire un concert rock ! J’étais au cœur du truc avant que ça n’arrive. »
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