Maurice Leblanc : l’auteur et son double

Il se rêvait « grand écrivain », mais son personnage d’Arsène Lupin, pour qui il nourrissait des sentiments ambivalents, l’a hissé au rang d’auteur populaire. Portait de l’homme qui s’est épanoui dans l’ombre de son double littéraire.

© Mathias Walter

Le 11 décembre 1864, ce n’est pas une bonne fée qui se penche sur le berceau de Maurice Leblanc, né à Rouen, mais un certain Achille Flaubert, médecin et accoucheur, frère du célèbre Gustave. Est-ce lui qui souffle au nouveau-né son goût pour la littérature ? À 6 ans, pendant la guerre franco-prussienne, son père l’envoie en Écosse. Les paysages grandioses, les châteaux et les légendes marquent son imagination. À son retour, il poursuit ses études à Rouen ; adolescent, il se lie d’amitié avec Guy de Maupassant et… Gustave Flaubert, caresse des rêves d’écriture. Son père tente de doucher ses ambitions en lui proposant une carrière dans l’industrie, il refuse et part pour Paris. D’abord journaliste, il publie son premier roman, Une femme, en 1893. Maurice Leblanc a toutes les cartes en main pour devenir un grand écrivain : le talent (son premier roman reçoit des critiques enthousiastes), l’acharnement (il enchaîne les parutions, au rythme d’un livre par an) et le réseau (il est l’ami proche de Stéphane Mallarmé et Alphonse Allais, s’attire la bienveillance de Jules Renard et Alphonse Daudet…), mais le succès pourtant mérité ne vient pas.

La frustration le mine. Il vit un divorce difficile avec Marie-Ernestine Lalanne, épousée dès son arrivée à Paris en 1889. La séparation est officielle en 1895, mais la procédure traîne en longueur, empêchant Leblanc d’épouser celle qu’il aime, Marguerite Wormser. À ses déboires sentimentaux s’ajoutent des problèmes de santé et un état dépressif chronique. Les choses s’arrangent en 1905, quand le journal Je sais tout lui commande un feuilleton policier sur le modèle du Sherlock Holmes d’Arthur Conan Doyle. L’Arrestation d’Arsène Lupin connaît un immense succès. En 1906, Maurice Leblanc peut enfin épouser Marguerite. Les aventures d’Arsène Lupin font un tabac, l’auteur reçoit la Légion d’honneur en 1908, mais il est amer de ne pas jouir d’une véritable reconnaissance littéraire. Aucun de ses romans ou recueil de nouvelles – il en publiera une trentaine, allant de la science-fiction à l’érotisme en passant par l’autobiographie – ne connaîtra le succès de sa série des Lupin.

Il entretient avec son héros une relation d’amour-haine, cherche à le tuer dans 813 (1910), le ressuscite, fait de lui un tombeur de ces dames, un coeur brisé, un patriote acharné et un défenseur de la veuve et de l’orphelin, au gré de ses humeurs et de ses idées. Ce flou entre les frontières de la vie de l’auteur et de celle de son héros s’incarnera dans sa demeure, Le Clos Lupin, à Étretat, aujourd’hui l’une des maisons d’écrivains les plus visitées de France. Maurice Leblanc s’y est installé en 1919 pour la quitter en 1939, deux ans avant d’être emporté par une pneumonie. La maison est occupée par les Allemands, puis récupérée par la famille et transformée en musée en 1999. On peut y voir des effets personnels de Maurice Leblanc, mêlés à ceux de son personnage désormais iconique, Arsène Lupin. L’auteur a eu beau jurer : « Lupin, ce n’est pas moi ! », il faut y regarder à deux fois pour faire la différence entre les attributs du créateur et ceux de sa créature.

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