Michel Faury : chardon ardent

Après les Stups puis la BRI, il a pris la tête de la mythique Crim’ il y a cinq ans. Ce grand flic à la carrière exemplaire est le visage de la brigade criminelle aujourd’hui. Une équipe hors normes, une réputation d’excellence et des résultats que les polices du monde entier envient. Rencontre avec un chef qui privilégie le collectif à l’individuel.

© Paolo Bevilacqua

Nom de code : Cristal 1. Qualité : patron de la brigade criminelle de Paris, la fameuse Crim’, ou BC pour les intimes. Michel Faury, le véritable patronyme du numéro un de cette équipe particulière reçoit dans son bureau, au 36 … rue du Bastion, tout près de la porte de Clichy et à un jet de pierre du nouveau tribunal judiciaire de la capitale. Loin de l’historique 36, quai des Orfèvres qu’il a côtoyé durant de nombreuses années, suite à son passage aux Stups et à la BRI. À la tête d’une équipe de cent-dix personnes depuis 2017, il prévient tout de suite : « On parle du groupe, de ce service fabuleux, pas de moi. » Les choses sont claires, comme une illustration de la devise de la brigade, « Qui s’y frotte s’y pique », et de son logo, un chardon … li faudra d’ail­leurs beaucoup insister pour qu’il accepte d’être pris en photo et il usera de son droit au silence pour toutes les questions personnelles.

Le marché est conclu, ce n’est pas tous les jours qu’on peut pénétrer dans l’antre d’une brigade mythique. D’autant que la configuration moderne des nouveaux locaux veut que le bureau du chef ouvre sur la salle de crise : un mur d’écrans sur lesquels sont diffusées les images de certaines caméras de vidéo-surveillance des rues de Paris, une grande table, des micros, l’endroit le plus stratégique en matière de lutte contre la criminalité et d’antiterrorisme. En ce jour ensoleillé et froid de fin 2022, la salle est silencieuse et vide. Tant mieux, aucun événement grave ne nécessite sa mise en route. Michel Faury s’installe derrière son grand bureau. Voici le PV d’audition du patron de la Crim’…

Première question plutôt basique : comment est organisée la Crim’?
Il y a deux grandes sections, l’antiterroriste et le droit commun, les personnels sont répartis quasiment pour moitié dans l’une et l’autre. La section antiterro est scindée en deux divisions : l’une est composée de six groupes d’enquête, et la seconde est plus transversale, avec un groupe dédié au financement du terrorisme, un autre à la formation et un dernier, très intéressant, baptisé « unité d’analyse et de veille des mouvements terroristes » (UAVMT). Pour la partie droit commun, nous avons neuf groupes répartis en trois sections. Chacun est de permanence du lundi 9 heures au lundi suivant, même heure. Deux équipes sont d’astreinte à chaque fois, une de droit commun et une d’antiterrorisme, nuit et jour pendant sept jours. Si la Crim’ a beaucoup changé ces dernières années, elle garde une image excellente dans l’inconscient collectif, sûrement grâce au cinéma ou aux romans policiers. Et il reste, aussi, un vrai atta­chement aux traditions, comme la bonne tenue vesti­mentaire. Nos policiers sont toujours habillés en tenue de ville, par respect à l’égard des familles des victimes. Nous sommes un peu plus souples qu’avant, car nous sommes à l’image de notre société aussi, mais il reste des traces de notre histoire et c’est très bien.
Malgré cette organisation, la Crim’ est un seul et même service. Il n’y a pas d’un côté les sections de droit com­mun et de l’autre les sections antiterroristes. On est un tout, les gens viennent ici sans savoir dans quelle section ils vont aller, ils font de tout et ils bougeront. La qualité des personnels en fait une brigade exceptionnelle.

© François Bouchon

Comment entre-t-on à la brigade criminelle ?
C’est une question primordiale. On veut des gens sympa­thiques et intelligents, mais surtout motivés. Notre force repose sur trois piliers : un niveau élevé dans le recrute­ment; une bonne capacité de formation mais aussi à gar­der les gens. Être recruté ici, cela passe par la cooptation et un stage. Si vous voulez intégrer la Crim; vous devez être recommandé et passer deux semaines avec nous pour voir comment on travaille et montrer comment vous, vous travaillez. On souhaite un socle minimal de compétences judiciaires, évidemment, mais on va aussi évaluer au cours de ce temps passé chez nous votre capacité à vous former, à progres­ser. Si on considère que la personne ne possède pas cette qualité, on ne la recrute pas. On est même prêt à fermer des postes, à ne pas recruter plutôt que de baisser notre niveau d’exigence. La formation est essen­tielle chez nous. Ces deux dernières années, nous avons effectué envi­ron trois cents stages, presque trois par fonctionnaire. Nous sommes un peu les enfants gâtés de la formation au sein de la Préfecture de police. Je serai un peu plus modeste sur la capacité à garder nos effectifs. La moyenne d’âge de nos policiers se situe autour de 42-43 ans, ce sont des gens déjà expérimentés, mais ils restent environ cinq ans chez nous, ce qui est assez peu. C’est la grande différence avec la Crim’ d’avant, dans laquelle vous entriez comme en religion et dont vous sortiez qua­siment les deux pieds devant. Nos personnels sont bons, ils passent des concours, les réussissent, sont promus, et, tant mieux, ils peuvent évoluer dans leur carrière. Et puis il y a les mutations, de plus en plus nom­breuses. Vous pouvez adorer la Crim; mais vous êtes souvent dans le feu de l’action, parfois mal logés, vos enfants peuvent être embêtés à l’école parce que vous êtes flic, vous n’avez pas de place en crèche … La vie familiale est plus importante que le travail et l’en­vironnement dans lequel vous vivez. Si votre famille habite à Nantes ou Saint-Malo et qu’un poste se libère, il est normal de postuler. La nouvelle génération de policiers, et ce n’est pas une critique mais un constat, comme dans de nombreux secteurs, est beaucoup plus sensible aujourd’hui à sa qualité de vie, elle veut profiter de ses enfants. On ne peut pas le leur reprocher. Moi, j’ai commencé à  23 ans et je ne pensais que police, je me fichais de ma vie de famille. Les poulets d’avant, je peux vous dire que leurs gamins, à 18 ans, ils les appelaient «monsieur» parce qu’ils ne les avaient pas beaucoup vus… Maintenant, nous sommes plus enclins à vouloir que nos policiers soient heureux et épanouis. Ce qui compte aussi, c’est l’aspect tutorat. Un chef de groupe va aider et former un nouveau qui arrive et lui, fera de même deux ou trois ans plus tard. Les gens adhèrent à cette exigence d’excellence, qui ne peut se faire que par la transmission.

Retrouvez la suite de cet entretien dans le Alibi#13 100 ans d’Interpol !

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