Naoki Urasawa : Maître du suspense

Maître du suspense en manga, le dessinateur sait comment rendre les lecteurs accros à ses séries qui mélangent thriller et science-fiction. Portrait d’un mangaka, père de l’immense succès Monster et de bien d’autres séries, qui en font un conteur hors du commun.

Düsseldorf, 1986. Venu du Japon et pro­mis à un grand avenir – d’autant que sa fiancée est la fille du directeur de l’hôpital – le docteur Temna opère un jeune garçon prénommé Johann. Celui-ci a reçu une balle en pleine tête, certainement tirée par la personne qui a assassiné ses deux parents, deux transfuges de l’Allemagne de l’Est.

Dans un État de catatonie suite au traumatisme, la sœur de Johann n’a, elle, qu’un mot à la bouche: « tuer ». Grâce à ses talents de chirurgien, Tenma sauve de la mort Johann et, par la  même, change sa vie et celle de nombreux autres individus. Car, bientôt, trois membres de l’équipe dirigeant l’hôpital meurent empoisonnés, tandis que les deux enfants disparaissent. Et, dix ans plus tard, il semble que le coupable de tous les meurtres précipités soit Johann, lui qui, en grandissant, n’a cessé de tuer, lui qui incarne le « monstre », le mal.

Au bout du premier tome de Monster – il y en a dix sept autres et 9 volumes pour la réédition -, il est difficile, voire impossible, de ne pas être happé par cette intrigue XXL qui zigzague devant nous comme pour mieux se dérober. Adapté en animé (diffusé en France sur Canal + et sur France 4), Monster est le chef-d’œuvre du mangaka Naoki Urasawa, un thriller échevelé qui, sur plus de trois mille pages, nous balade parmi des tueurs en série, des tenants de l’eugénisme dans un orphelinat laboratoire, et en personnages secondaires, des flics corrompus, des néonazis, des journalistes, mais aussi des représentants de toutes les catégories sociales. « Où se situe le bien, où se situe le mal ?», interroge en quatrième de couverture la dernière édition en date de Monster, récit fleuve où Urasawa fait preuve d’un sens de la narration bluffant.

À l’image des mani­gances de Johann, mais de manière plus innocente, le mangaka nous manipule avec la plus grande des facilités. Il bâtit son scénario avec un sens du coup de théâtre diabolique, introduisant sans tambour ni trompette de nouveaux acteurs qui font vaciller nos certitudes. Il maîtrise ainsi une galerie de per­sonnages pléthoriques et réussit à ne jamais nous perdre dans ce qui ressemble pourtant à un laby­rinthe. Monster, Naoki Urasawa s’y est consacré de 1994 à 2001, sept ans pendant lesquels sa série a fait les beaux jours du bimensuel Big Comic Spirits où elle était prépubliée.

« Entre le manga et la bande dessinée franco-belge, il y a plein de différences techniques, de narration et de découpage, estimait Urasawa il y a cinq ans alors qu’il était exposé à l’Hôtel de Ville de Paris. Pourtant, c’est très curieux, je me sens beaucoup plus proche de l’univers et des crayonnés d’un Moebius que de ceux des auteurs de manga habituels. j’ai découvert Moebius dans un magazine alors que j’avais à peu près 20 ans.Je me suis entraîné à tracer les mêmes lignes que lui jusqu’à ce que je me décide à trouver mon style, mon originalité. Au final, quelles que soient les différences entre le manga et la BD franco-belge, il s’agit du même médium, celui des histoires dessinées. »

La principale différence vient sans doute de la prépublication en magazine, toujours présente au Japon, qui donne aux histoires d’Urasawa l’allure de feuilletons modernes. « Oui, le rythme de parution joue beaucoup sur l’intrigue, admettait-il. Dans le cas d’une parution hebdomadaire ou bihebdomadaire, les lecteurs doivent avoir dix-huit pages à lire par numéro. Si, dans le tas, il y avait dix pages de paysage, ça serait très ennuyeux pour eux. »

Découvrez la suite de l’article sur Naoki Urasawa, le maître du suspens dans le Alibi #14 : Petits meurtres en Asie dès le 30 juin en librairie !

Alibi #14 : Petits meurtres en Asie
ALIBI Été Spécial Asie et manga noir

Découvrir