Philippe Charlier : Archéologue du crime

Médecin légiste, mais aussi archéoanthropologue et paléopathologiste, celui qui est surnommé « l’Indiana Jones des cimetières » fait parler de lui par ses méthodes et ses résultats. Des dents d’Hitler au crâne d’Henri IV, il a étudié bon nombre de per­sonnages historiques. Rencontre avec un voyageur du temps.

© Thibaut Chapotot

Les jardins du Quai Branly à Paris sont bai­gnés d’une douce lumière d’hiver. Des touristes en goguette patientent devant l’entrée du musée qui affiche en ce mois de janvier deux expositions, sur les Blacks lndians de la Nouvelle Orléans et les kimonos japonais. C’est dans ce décorum, bercé par les esthétiques de l’ail­leurs, que nous reçoit Philippe Charlier. Le quai Branly est le nouveau port d’attache de celui qui fait parler les corps des morts les plus célèbres de l’Histoire. Il y a lar­gué ses amarres en 2018 pour y diriger le Département de la Recherche et de l’Enseignement. La sémantique du voyage escorte le médecin depuis qu’il est en âge de lire. « Mon enfance, je l’ai passée avec Victor Segalen, avec Le sac du palais d’été, de Pierre-Jean Rémy. C’était Pierre Benoit, L’Atlantide, c’était La Voix Royale d’André Malraux, Blaise Cendrars aussi : Moravagine et Bourlinguer surtout. Et puis Tristes Tropiques (de l’anthropologue Claude Lévi-Strauss, ndlr) évidemment. » Ce médecin légiste, archéoanthropo­logue et paléopathologiste a autant de facilité à multiplier les métiers qu’à évoquer ses travaux, avec toute l’emphase nécessaire. Ses premiers voyages archéologiques en Grèce, ses recherches sur les crânes de Marat ou de Robespierre, son voyage à Moscou pour analyser les restes d’Hitler ou son initiation au vaudou. Tendre un micro à Philippe Charlier, c’est embrasser la baguenaude, se constituer embarqué volontaire d’un voyage géographique et temporel. L’homme parle bien, choisit mots et tournures avec soin, science du lan­gage qu’il a peaufinée lors de ses nombreux passages télévisuels. Les médias l’adorent (il est surnommé « l’Indiana Jones des cimetières » ). Lui les connait et les pratique avec aisance. Ainsi, assis derrière les baies vitrées du café Jacques, dans le parc du musée, il commande une bière « sans alcool, je sais que vous pourriez l’écrire sinon. » Il porte un costume impeccable, comme le veut sa fonction, où ses journées millimétrées s’épuisent entre les rendez-vous et la recherche, quand il n’est pas en déplacement. Seule tranche avec cette image cette foulti­tude de bracelets qu’il porte aux poi­gnets. Là encore, le monde s’invite sur ces manchettes. « Celui-là, c’est un bracelet en olivier qui vient du Saint-Sépulcre de Jérusalem. Celui ci vient du Cameroun, c’est un bracelet en cuivre d’une société secrète bami­léké. Celui ci vient de Patmos, c’est un bracelet grec orthodoxe. Celui ci vient d’Éthiopie, mais il m’a été offert par le prince Michel de Grèce. »

© Paolo Bevilacqua

Philippe Charlier, 45 ans, questionne les morts. Depuis bientôt quinze ans, il passe au crible les squelettes et les restes funéraires des personnages illustres de !’Histoire. Tantôt pour leur redonner un visage, tantôt pour expli­quer les circonstances de leur mort. Ainsi, les ossements de figures aussi éloignées qu’Hitler, Richard Cœur de Lion, Henri IV, Robespierre ou Diane de Poitiers sont passés sous son œil. Ce qui lui a valu sa renommée, c’est cette volonté farouche de croiser les disciplines pour apporter un regard neuf sur ces illustres dépouilles. « Je voulais faire parler les morts depuis tout petit, mais d’une façon bien pragmatique. Et j’ai eu le déclic quand j’étais à Pompéi. J’étais jeune, je devais avoir sept ans. Quand j’ai vu ces fantômes de plâtre, je me suis dit qu’à travers un squelette, il y avait toute une existence qu’il était possible de reconstituer. » Son amour précoce pour l’archéologie est né l’année précédente. Philippe Charlier vit une enfance heureuse, entouré de livres, d’un père médecin de campagne et d’une mère pharmacienne. Un jour qu’il s’amuse dans le jardin familial de Meaux, en Seine-et-Marne, il tombe sur un squelette de taupe. Une vocation est née.

À douze ans, il est pris en stage sur un chantier de fouilles. Encore inexpérimenté et un peu trop volontaire, il brise un crâne d’un coup de pelle. Il fond en larmes, avec le sen­timent d’avoir fait une énorme bêtise. Mais qu’importe, il s’est trouvé une passion qui ne le quittera plus. À seize ans, Philippe Charlier obtient son bac et s’inscrit en fac de médecine, mais sans perdre de vue son objectif. « Je voulais utiliser la médecine comme un moyen d’étude des populations du passé ou des populations lointaines. Pour moi, la médecine légale était vraiment une technique, une façon de reconstituer la vie, redonner vie littéralement », explique-t-il de sa voix posée. « Il y avait déjà dans un coin de ma tête l’idée de reconstituer vraiment toute la vie de l’individu, ses marques d’activité, sa vie quotidienne, la cause de sa mort. Et puis tout ce que ces patients du passé avaient pu endurer dans leur vie de tous les jours. » Précoce et arrogant, de son propre aveu, il se voit déjà arrivé mais une première année redoublée lui remet les pieds sur terre. Il décide alors de prendre son ambition à bras le corps.

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