Elle se sert de ses charmes pour piéger les hommes, elle est aussi sublime que vénéneuse et elle est le talon d’Achille du détective privé. Il s’agit sans doute là du plus grossier des malentendus. La « femme fatale» est aussi (et surtout?) une figure féminine libre, dont les actes et les choix dénoncent une société taillée dans la violence machiste.
Dès 1945, Raymond Queneau, qui est l’un des premiers à souligner toute l’originalité de cette nouvelle littérature publiée par la Série noire, la définit en ces termes: « L’attention de l’auteur et du lecteur n’est plus portée sur l’intrigue, mais sur les personnages qui dessinent cette énigme. [ … ] La brutalité et l’érotisme ont remplacé les savantes déductions. [ … ] Les bandits sont parfaitement immondes, sadiques et lâches, et toutes les femmes ont des jambes splendides; elles sont perfides et traitresses et non moins cruelles que les messieurs. » —affaire est donc entendue, la «vamp» fascinera autant le public que le personnage du privé. Si elle fait rapidement figure de personnage caricatural, avec son fume-cigarette, sa jupe fendue, ses talons hauts et son rouge à lèvres couleur sang, une vieille grille de lecture rétrograde nous a fait oublier qu’elle est d’abord emblématique de la femme émancipée, qui forge ses propres choix en suivant ses propres objectifs, qui ne sont plus ceux de l’épouse au foyer ou ceux de la femme-accessoire pendue aux bras du caïd, image éculée des premiers romans de William R. Burnett. Elle s’affirme comme personnage central du polar dans les années 1940, alors que la place de la femme dans la société américaine est en train d’évoluer, qu’elle porte des revendications sociales et féministes.
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