Takashi Morita : Lupin, libre et affranchi

Et si la meilleure adaptation d’Arsène Lupin était due à un dessinateur japonais tombé amoureux de l’œuvre de Maurice Leblanc? Rencontre avec un mangaka francophile et enthousiaste.

Au japon,le personnage d’Arsène Lupin est très populaire depuis près d’un siècle. Cela explique pourquoi, dès 1967, Kazuhiko Katô a créé la série Lupin III en inventant au gentleman cambrioleur un petit-fils né d’une mère japonaise. Depuis, d’autres mangakas ont donné leur propre version, mais jamais Maurice Leblanc n’a eu de fan aussi passionné que Takashi Morita. Celui-ci, depuis 2011, s’est lancé dans une entreprise radicale : adap­ter toutes les histoires écrites par Maurice Leblanc. Avec son graphisme expressif et sa mise en page dy­namique, Morita donne un coup de jeune à l’imagerie très Belle Époque d’Arsène Lupin. Désireux de re­mettre l’écrivain Leblanc en avant, il respecte le texte original et son adaptation de L’Aiguille creuse en trois volumes – les tomes 8, 9 et 10 – se révèle aussi fidèle que savoureuse.

Quand avez-vous découvert Arsène Lupin?
j’avais à peu près 6 ans, je venais d’intégrer l’école pri­maire. Mon père m’a mis dans la main une version light, adaptée pour le jeune public, de l’œuvre origi­nale de Maurice Leblanc. j’ai très vite accroché avec ce personnage et j’ai eu envie d’approfondir en lisant la version intégrale des romans.

Pourquoi cette fascination pour Lupin plutôt que, par exemple, pour Sherlock Holmes?
D’abord parce que, chronologiquement, c’est le pre­mier héros que j’ai découvert: j’ai lu Conan Doyle après Leblanc … j’aime beaucoup Sherlock Holmes, d’ailleurs. Ce qui m’intéresse chez Lupin, c’est sa complexité, cette dualité : il est très habile et intelligent mais, en même temps, il gagne sa vie en cambriolant. Il est plus libre, il évolue de manière affranchie dans la société de l’époque. La dernière chose qui me fait pencher vers Lupin, c’est que ses aventures ont une dimension in­ternationale – il va dans d’autres pays, croise d’autres cultures-, alors que celles de Sherlock Holmes traitent essentiellement de problèmes localisés, très anglais. Les aventures du Français ont aussi un ancrage histo­rique qui les rend plus riches à mes yeux.

Si vous êtes le plus fidèle, vous n’êtes pas le seul auteur de manga à vous emparer du personnage d’Arsène Lupin. À votre avis, pourquoi ce dernier a-t-il un tel impact dans la culture japonaise?

Bien sûr, je ne peux pas m’exprimer au nom de tous les Japonais, mais c’est une question que je me pose aussi. Premier élément de réponse : il fait partie des premières œuvres populaires occidentales qui ont été introduites au Japon. Les romans de Maurice Le­blanc ont plu à de grandes figures de la littérature japonaise, tel !’écrivain Edogawa Ranpo qui s’en est inspiré pour Le Monstre aux vingt visages. Comme ce dernier était un auteur déjà très reconnu, il a joué le rôle de passeur et a drainé tout un lectorat. Et puis, les Japonais sont réputés être des gens très sérieux, très rigides … Enfin, c’est ce que l’on dit souvent de nous. Lupin apporte peut-être une certaine fraîcheur, une dimension subversive qui a sans doute fasciné mes compatriotes, eux qui n’avaient pas la possibilité de se comporter de la même façon.

L’Aiguille creuse a été publié en 1909, pourquoi vous semble-t-il important de faire découvrir ce roman?
Pour moi, les romans de Leblanc sont comme des ro­mans historiques. Ils décrivent une situation passée, ils sont d’autant plus intéressants à lire aujourd’hui qu’ils nous apportent un point de vue sur une époque que l’on n’a pas connue mais dont nous sommes les héritiers. Ça nous permet d’avoir un aperçu plus ou moins réaliste sur un système de valeurs et des men­talités qui ont évolué. Cela donne accès à une forme d’universalité, quelque chose dont on découle mais dont on n’a pas forcément conscience. L’œuvre de Le­blanc a cette dimension-là.

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