Ils viennent aux audiences par ennuie, passion, parfois obsession… à tel point que certains font partie des murs de nos cours et tribunaux. On les surnomme les « rats » de prétoires ou de palais. De Metz à Brest, rencontre avec ces habitués qui vivent la justice au quotidien.
© Elsa Montlahuc
Il est quatorze heures pile. Dans la petite salle 26 du tribunal judiciaire de Metz (Moselle), le public s’engouffre, dont cinq retraités qui s’installent comme s’ils connaissaient la maison. « Mets-toi devant, sinon t’entendras rien », glisse l’un d’eux à son compère, apparemment bien renseigné sur la désastreuse acoustique de l’endroit. « Et voilà les habitués ! », plaisante un policier avec son collègue, désignant la bande des cinq mousquetaires.« Au lieu de passer leurs après-midi à regarder Derrick, ils viennent ici», précise-t-il. Il est 14 h 15 quand retentit la familière sonnerie qui continuera à en faire sursauter plus d’un, annonçant solennellement l’entrée du président et de ses assesseurs.
La séance commence en retard, mais ici plus personne ne s’en étonne. « L’audience est ouverte. Asseyez-vous », enjoint le président en saluant le public d’un geste de la tête. Comme tous les vendredis, il débute l’après-midi avec les «compas», comme on dit dans le jargon. Entendez, les comparutions immédiates, ces petites affaires qui ne méritent pas d’instruction ni d’enquête pointue. Il peut s’agir d’individus arrêtés en flagrant délit, souvent la veille, sortant d’une nuit en garde à vue et qu’on présente directement devant le tribunal, « à chaud ». Mais généralement, les gaillards ne sont pas très frais. Le premier prévenu arrive sous escorte, par l’ascenseur installé dans le box, tout juste sorti des geôles du tribunal. Derrière la vitre, où on lui demande de patienter, il semble surpris par la présence de l’auditoire. « Ben oui, l’audience est publique », lui explique un policier. Pas de chance pour nos cinq spectateurs assis au milieu de la salle, le jeune prévenu ne fait aucun effort d’articulation, ses propos sont presque inaudibles. Sans parler des bancs qui grincent au moindre mouvement, étouffant les voix des uns et des autres, ne facilitant pas la bonne compréhension des débats.
© Elsa Montlahuc
Les policiers, eux, jouent à Candy Crush sur leurs portables. Les affaires se succèdent : vol de voiture, recel, conduite sans permis ou en état d’ivresse. Bref : « des faits simples », comme aiment à le faire remarquer en début de plaidoirie ou de réquisitoire avocats et procureur. « Ce n’est pas très intéressant, hein ? », chuchote un habitué à son voisin.
Un temps chroniqueuse judiciaire pour la presse quotidienne régionale, des moments de vie comme celui-ci, j’en ai observés tous les jours. Parfois, je les ai même racontés dans les colonnes du journal local, entre perles d’audience et scènes touchantes, quand le tout-venant des affaires de la justice ordinaire n’était pas passionnant. Les« habitués», Fabrice V., 47 ans, employé depuis six ans comme agent de filtrage à l’entrée du tribunal de grande instance de Metz, les connaissaient bien. « Ils étaient abonnés aux audiences, c’était quasiment devenu des copains, confie-t-il. On les laissait presque rentrer sans contrôle, ils étaient ici comme chez eux. » Si l’agent de sécurité parle au passé, c’est que depuis la crise du covid-19 la bande des cinq mousquetaires ne vient plus. Nostalgique, il se souvient: « Le rôle des audiences, eux, ils appelaient ça le « programme télé’: Ils arrivaient généralement vers 13 h 30 pour le consulter, râlaient quand il n’était pas encore affiché et faisaient leur marché : quand c’étaient des affaires de stups, ils ne restaient pas souvent, préférant les meurtres et autres crimes de sang. » L’.histoire ne nous dit pas si « d’Artagnan » et ses compères ont été emportés par la maladie en raison d’un âge avancé qui les aurait rendus vulnérables, ou si, las de se faire refouler aux portes du palais – les audiences étant fermées au public durant la crise sanitaire -, ils se sont tournés vers d’autres centres d’intérêt.
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