Les douces vertus du polar : Cosy crime

Plus que jamais, le roman est une sorte de « doudou », qui tient l’ennui à distance et permet de voyager… même quand c’est interdit. Le phénomène s’exprime dans une branche bien particulière du polar : le cosy crime.

Crédit photo : Photo de Nataliya Vaitkevich

La tendance est confirmée par tous les éditeurs du secteur : dès le premier confinement, les achats de romans n’ont pas drastiquement baissé, contrairement à ce que redoutaient les professionnels du livre, mais les lecteurs se sont, plus que jamais, tournés vers leurs « valeurs sûres. » Bertrand Pirel, directeur des éditions Hugo Thriller, le confirme : « Lecteurs et lectrices n’ont absolument pas désavoué la lecture, bien au contraire ! C’est d’ailleurs un petit miracle, et un pied de nez à ceux qui prophétisent la fin du livre depuis des années : pendant les confinements, les ventes ont décollé ! » Revers de la médaille, les grands gagnants de l’équation sont les « gros vendeurs » du secteur. « Les ventes de mes auteurs phares, comme Franck Thilliez, ont augmenté d’environ 25 % », avance Florian Lafani, directeur du Fleuve. La lecture comme valeur refuge, le roman comme remède à la morosité : ce phénomène inattendu et absolument réjouissant s’incarne avec des ventes mirobolantes et une pléthore de sorties dans une veine particulière, celle du cosy crime, roman « doudou » par excellence.

Crédit photo : Photo de Karolina Grabowska

UN ANTIDOTE AU GORE
Le cosy crime se caractérise par des intrigues très classiques, fondées sur le fameux whodunnit (« qui a commis le crime ? ») à la Agatha Christie. Les romans se déroulent dans un univers douillet, souvent aristocratique ou bourgeois, les héros sont très souvent des héroïnes, charmantes petites dames, douces rêveuses ou harpies fantaisistes, issues d’un monde éloigné du secteur policier (retraitées, cuisinières, dames de compagnie, etc.). Surtout, les affaires criminelles sont affranchies de toute violence, sans détails scabreux ni effusions de sang. « Les temps sont durs moralement, ces romans m’ont sorti le nez de cette période compliquée, ils m’ont apporté du réconfort et de la joie pendant le premier confinement,
au moment où les mauvaises nouvelles tombaient en série », confie Violaine Chivot, éditrice au Masque, qui a publié en avril Le Murder Club du jeudi, signé Richard Osman. Le roman, numéro trois des ventes en Grande-Bretagne, après
Harry Potter et le Da Vinci Code, est campé dans le Kent et met en scène un club de criminologues amateurs, tous pensionnaires de la même maison de retraite. Car dans l’univers moelleux du « cosy », les anciens sont rois et reines… On y croise d’ailleurs Elizabeth II herself, en enquêtrice de choc de l’audacieuse série Sa Majesté mène l’enquête, de S. J. Bennett, publiée ce printemps aux Presses de la Cité.

Crédit photo : Photo de Taryn Elliott

LES DISCIPLES DE QUEEN AGATHA
Le renouveau du cosy crime prend sa source, en France, dans le succès inattendu des aventures d’Agatha Raisin, personnage haut en couleur imaginé par la romancière (britannique, of course !) M. C. Beaton, décédée en 2019. Son Agatha Raisin est acariâtre, déjantée, sulfureuse et dotée d’un talent certain pour démêler les mystères les plus retors.

Depuis le numéro un, La Quiche fatale (2016), la folle anglaise a résolu quelque vingt-sept mystères, et ses ventes chez Albin Michel se sont envolées à un million trois cent mille exemplaires en France. Détonnant arc-en-ciel dans le ciel sombre du domaine policier, Agatha Raisin et ses couvertures colorées font des émules. « Les gens adorent les enquêtes so british à la miss Marple, mais marquées par une certaine originalité, et de très bonne facture », commente Glenn  Tavennec, éditeur chez Robert Laffont. Lui a surfé sur la tendance en lançant, au coeur de sa très thrilleresque collection « La Bête noire », la série Son espionne royale, signée Rhys Bowen. Situées dans les années 1930, les aventures de Lady Victoria, héritière fauchée de la famille royale britannique, fleurent bon le chic débonnaire et l’humour anglais, en rupture avec la ligne éditoriale de la collection, et raflent les meilleures ventes. Sûr du filon du cosy crime, Glenn Tavennec
a lancé une autre série dans la même veine, signée Julia Chapman, Les Détectives du Yorkshire, dont chaque tome (il en est sorti six depuis Rendez-vous avec le crime en 2019) se vend à environ vingt mille exemplaires.

Découvrez la suite dans l’article Les douces vertus du polar : Cosy crime par Élise Lépine parus dans Alibi #7

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