Viol sur ordonnance

La soumission chimique fait de plus en plus la une des journaux. Après le GHB versé dans le verre des jeunes filles pour en abuser, surgissent de nouvelles méthodes : tisanes aromatisées aux somnifères, cocktails d’ecstasy… Les plaintes sont innombrables jusqu’à cette histoire terrible que raconte Caroline Darian : le calvaire d’une victime, sa mère, qui a duré des années.

© Nicolas Fructus

C’est un nouveau fléau. Ou plus exactement un phénomène pratiqué dans l’ombre et dont on mesure l’ampleur chaque jour davantage. Tentacule inédit de l’hydre des violences faites aux femmes, la soumission chimique, telle quelle a été définie récemment par l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM), est « l’administration à des fins criminelles (viols, actes de pédophilie) ou délictuelles (violences volontaires, vols) de substances psychoactives (SPA) à l’insu de la victime ou sous la menace » . C’est seulement en 2003 que l’établissement public a lancé sa première enquête nationale, dont les derniers résultats datent de 2019 avec le recensement de 574 cas retenus, soit une augmentation de 16,7 % par rapport à l’année précédente, ce qui laisse présager de l’augmentation exponentielle du nombre de cas jusqu’à aujourd’hui. Et pourtant, l’étude est passée sous les radars.

Caroline Darian, cadre en région parisienne, la quarantaine dynamique, mariée, mère d’un enfant, n’avait jamais entendu l’expression « soumission chimique » avant que son avocate l’emploie pour qualifier les horreurs que sa cliente lui rapporte avoir découvertes à l’automne 2020 au sein de sa propre famille. Bien sûr, elle connaissait la pratique des substances incolores et inodores versées en soirée dans les boissons destinées aux femmes ; mais dans son idée, les victimes avaient moins de 30 ans, les faits se déroulaient toujours dans des fêtes nocturnes, et les coupables étaient la plupart du temps des inconnus. Elle n’imaginait pas que dans son entourage, sa propre mère, mariée depuis plus de cinquante ans avec le même homme, habitant dans un charmant village du sud de la France, vivait un cauchemar depuis des années, qui, grâce à « un miracle» dit-elle, a été révélé au grand jour.

« Le 12 septembre 2020, relate-t-elle, mon père est surpris dans un super­marché de Carpentras en train de fil­mer sous les jupes de trois femmes. Ces trois femmes vont aller porter plainte contre lui. Il est mis en garde à vue et, au commissariat, les poli­ciers analysent le contenu de son téléphone très attentivement. En ouvrant la galerie de photos et de vidéos, ils tombent sur des images de viols, d’agressions sexuelles. À partir de là, ils vont perquisitionner le domicile de mes parents, récupé­rer le matériel informatique et analy­ser les documents. Ils constatent que ma mère n’est pas dans un état nor­mal, que souvent elle est endormie, voire totalement inerte. Des vidéos qui montrent très clairement qu’elle n’est absolument pas consciente et donc pas consentante aux actes dont elle est victime. » Dans ces images insoutenables, Caroline voit de nombreux hommes se succéder pour abuser sexuellement du corps immobile de sa mère, incapable d’aucune réaction.

© Nicolas Fructus

Si cette inertie est la marque d’une soumission chimique, les symp­tômes sont pour autant difficiles à identifier, puisque ce sujet est, par manque de données, sous-docu­menté. Et c’est là tout le problème. Même les médecins que la mère de Caroline est allée consulter n’ont pas vu, n’ont pas su détecter la gravité de son état. Or, c’est bien un mélange toxique de somnifères et d’anxio­lytiques que son mari lui adminis­trait depuis des années, comme en témoignent les nombreuses boîtes de comprimés trouvées à leur domicile lors de la perquisition des policiers. Caroline Darian ne comprend toujours pas comment des médicaments exclusivement prescrits sur ordonnance ont pu être délivrés par les pharmacies en si grande quantité entre octobre 2019 et juin 2020, « sans aucun contrôle de la part de la Sécurité sociale». Elle s’étonne aussi de l’absence de surveillance de la médecine générale : « Comment se fait-il que mon père, qui avait des problèmes respira­toires et qui utilise encore aujourd’hui un appareil pour éviter ses apnées du sommeil, ait pu en plus avoir à son nom des ordonnances de somnifères ? »

Au choc de découvrir l’état de vulnérabilité de sa mère, s’ajoute celui de voir dévoilé le vrai visage de son père qui, jusqu’ici, n’avait jamais manifesté sa perversité. « Mon père affichait en public l’image de quelqu’un de très gai, de très serviable, très proche de sa femme, de ses trois enfants. Il avait ce qu’on appelle un «masque social ».  Il a toujours veillé à dissimuler sa part d’ombre. Et c’est souvent le cas des grands pervers sexuels, on ne peut absolument pas imaginer à quoi ils pensent la plupart du temps, et ma maman a découvert qu’elle ne connaissait pas l’homme avec qui elle partageait sa vie depuis cinquante ans, sans savoir à quel moment il a basculé», explique Caroline Darian.

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